Le ghetto français et la mixité scolaire
« Le ghetto français, enquête sur le séparatisme social » d’Eric Maurin a été publié en octobre 2004 dans la collection « La République des idées ». L’auteur est chercheur en économie.
Le mot “ghetto” tirant son origine d’un lieu clôt où interagissent des personnes entretenant des relations communautaires affinitaires, le titre est contestable, mais accordons lui le fait que le ghetto français ne soit pas américain. Il précisera d’ailleurs que le communautarisme français n’est pas de type sécessionniste, mais d’attente, de réaction. Contrairement à une idée reçue, le degré de ghettoïsation des immigrés n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il y a 20 ans même si le facteur “ethnique” reste prépondérant dans les phénomènes de relégation. Le manque de diplôme et de qualification est à l’origine des formes de pauvreté les plus permanentes, et donc les plus pénalisantes sur le marché du logement. Si l’ouvrage ne s’avère pas aussi complet que celui que la revue Esprit a consacré aux politiques de la ville, il contribue néanmoins à l’avancée de notre réflexion.
L’auteur explique que le séparatisme concerne toutes les catégories sociales, chacune d’entre elles redoutant un déclassement. Ainsi, la ségrégation urbaine n’est pas la conséquence d’une inertie sociale, mais le résultat de processus de mobilité stratégiques par lesquels les classes sociales se fuient sourdement.
Depuis maintenant 20 ans, les inégalités de salaires ou de revenu restent à des niveaux historiquement faibles, mais les inégalités d’exposition à l’intérim, aux CDD et au chômage sont en augmentation régulière. La France est le pays d’Europe où ces inégalités entre jeunes et âgés ou entre diplômés et non-diplômés sont les plus élevées. Dans le même temps, la mobilité dans la hiérarchie des salaires baisse. C’est au sein des classes moyennes inférieures que l’abstention et le vote d’extrême droite ont été les plus forts le 21 avril 2002, soit dans les fractions de classe aujourd’hui les plus directement menacées par la désindustrialisation et le déclassement social et territorial. La recherche un peu pathétique de l’entre-soi résidentiel est sans doute aujourd’hui pour beaucoup une réponse à la fragilisation des relations d’emploi et à la dégradation du lien social dans les entreprises. Les clivages ne s’inscrivent donc plus tant dans l’entreprise que sur le territoire.
L’auteur relève les stratégies d’évitement qui rendent les politiques territoriales de facto peu efficientes. Ainsi, une municipalité “pauvre” peut espérer progresser dans la hiérarchie des richesses en rendant les logements et la vie suffisamment chers, mais l’attractivité de ces territoires vis-à-vis des populations “moins pauvres” restera faible dans la mesure où ces espaces ont été marqués par des politiques de zonage de type ZEP (créées par la gauche dans les années 80) ou ZFU (créées par la droite dans les années 90).
Toutefois, l’auteur précise bien qu’il s’agit bien d’une stratégie d’évitement et non d’un mécanisme de fuite : le zonage n’entraînant pas nécessaire le départ des classes moyennes déjà installées. De même, il est vain d’attendre des élites à ce qu’elles placent leurs enfants volontairement dans une ZEP afin que leurs progénitures participent à l’amélioration du niveau de la classe, sans passer pour un “mauvais parent”. C’est la raison fondamentale pour laquelle il n’est bien souvent pas possible d’atteindre spontanément (sans coordination collective), ce qui consisterait pourtant d’un point de vue social, une forme d’optimum.
En conditionnant le profil des personnes avec lesquelles chacun interagit, le lieu de résidence détermine un aspect fondamental de notre rapport à la société, impactant fortement l’avenir des enfants et des adolescents. La différence des inégalités devant la sécurité (bruits en ZEP) est bien moins importante que les inégalités devant le contexte de socialisation, lequel se décline réellement sur le territoire.
L’environnement social de l’enfant a un rôle majeur dans son processus de développement. Un enfant vivant dans un HLM a un risque d’échec scolaire considérablement plus important lorsqu’il a la malchance d’habiter un HLM peuplé d’enfants en échec, que lorsque son HLM est peuplé d’enfants ayant réussi à éviter l’échec scolaire. Les parents qui le peuvent choisissent ainsi les « petits camarades » et « fréquentation » de leurs enfants. Afin de pouvoir envoyer son enfant dans une “bonne” école, les études montrent que les parents devront alors consentir à payer un loyer plus élevé ; les bailleurs faisant même évoluer les loyers en fonction du découpage de la carte scolaire.
De plus, pour se prémunir des effets de la ségrégation territoriale, les établissements lui ajoutent une ségrégation plus proprement scolaire, peuplant ainsi des classes de relégation au sein des quartiers de relégation. L’auteur propose une assouplissement sélectif de la carte scolaire pour les familles résidant en ZEP : les familles des classes moyennes n’auraient plus nécessairement le sentiment d’être piégées en s’installant dans ces zones. Ensuite, il suggère de se déprendre du territoire comme catégorie d’action (éviter leur stigmatisation) et propose d’agir au niveau des individus.La pauvreté affecte les enfants avant même leur naissance (sous-nutrition, prématuré), après leur naissance (accès aux soins médicaux) puis au collège (suroccupation des logements), puis à l’âge adulte (accès aux études supérieures).
L’auteur explique que la réforme de 1997 mettant fin à l’obligation du service militaire a contribué à diminuer le nombre d’années d’études des garçons issus de milieu populaire, et subséquemment à baisser leurs salaires d’embauche (-12%). En effet, les études permettaient d’effectuer un service “plus intelligent” ; l’existence même du service national constituait donc une incitation à la poursuite des études. Enfin, l’auteur estime que le système de bourses en vigueur à l’heure actuelle ne propose pas d’aides significatives. Il se réfère à une étude qui démontra qu’un prêt à taux zéro correspondant à environ un demi-smic annuel centré sur les enfants des classes populaires permettrait d’augmenter de 15% leur probabilité de poursuite des études et aurait pour conséquence ultérieure d’augmenter leurs salaires (15% par année d’études sup.).