« Et si la France s’éveillait… »
« Ce ne sont pas les discours les plus maximalistes qui mènent aux politiques réformistes les plus avancées » écrira Gérard Collomb dans son ouvrage « Et si la France s’éveillait… ».
« Changer la vie, la France unie, la fracture sociale, la rupture, chaque fois une déception ! Nous avons donc, vis-à-vis de nos concitoyens, un devoir de vérité.» voici une éclairante synthèse des cycles électoraux et de nouveau, ce fameux devoir de vérité. François Fillon n’a-t-il pas également intitulé son ouvrage « La France peut supporter la vérité », mais existe-t-il seulement une Vérité ?
Il critique la vision dépassée d’une social-démocratie classique fondée sur l’intervention de l’Etat par la redistribution et la réglementation et propose d’inventer un nouveau modèle susceptible de « garantir un niveau de vie et un modèle social par un modèle économique viable ». Il précisera que lorsque « la crise financière éclata à l’automne 2008, le chef de l’Etat prit d’urgence des mesures qui, avouons le, ne furent pas les pires de sa présidence. Les fondements du plan de relance n’étaient pas absurdes : accroître l’investissement public pour éviter que l’activité ne s’effondre et laisser le modèle social français jouer le rôle d’amortisseur».
Je partage son avis sur les limites de la relance par la consommation et la nécessité de soutenir l’économie par l’investissement (cf mes articles : « Pouvoirs d’achat, pour consommer des biens délocalisés ? » et « Pourquoi faut-il soutenir nos industries et la R&D ? »). Concernant le soutien à la recherche et l’innovation au niveau européen, son programme rejoint celui d’Europe Ecologie.
Je ne partage pas du tout son opinion lorsqu’il dit que l’Ile-de-France est restée trop longtemps à l’écart du mouvement d’intercommunalité, ce qui montre une méconnaissance du sujet. Il estime que l’intercommunalité serait un outil de péréquation indispensable en IDF, sauf qu’il existe le FSRIF, la volonté politique peut largement suffire si elle existe, l’institution est à mon avis bien secondaire (cf mon article « La naissance du Syndicat mixte Paris Métropole »).
Il considère les collectivités comme des « contre-pouvoirs ». « La conception nationale pyramidale et parisianiste du pouvoir ne fonctionne plus. Le bon système de gouvernance consiste moins à imposer qu’à savoir fédérer ». Lorsque l’on sait à quel point le Grand Lyon est une institution verticale, comparée à la Ville de Paris bien plus horizontale, sa remarque me laisse pantoise…L’ouvrage de Paul Boino précisera par ailleurs que le Grand Lyon ne fédère pas, mais construit des arrangements individualistes, loin de l’intérêt commun.
De même, il déplore le fait que le parti socialiste « néglige le mouvement social représenté par les syndicats, le mouvement mutualiste, le mouvement coopératif, fondements essentiels de la social-démocratie originelle » qu’il appelle de ses vœux. « Ce qui fait problème à gauche, ce n’est pas les finalités, ce sont les moyens…La gauche n’est plus crédible sur le terrain des leviers et des moyens d’actions concrets ». En effet ! Pourquoi dans ce cas n’avoir pas intégré les syndicats dans Lyon Ville de l’entrepreunariat (LVE) ?
Gérard Collomb propose pour les salariés comme pour les entreprises un renforcement de la formation, soit la mise en place de la flexisécurité à la danoise. Sa motivation est par contre beaucoup plus surprenante : « Renforcer la formation de manière à augmenter la productivité salariale, seule à même de rendre soutenables de hauts niveaux de salaires ». Or, la flexisécurité devrait permettre de lutter en premier lieu contre le chômage en aidant les personnes peu qualifiées à dépasser les minsky moment…
D’ailleurs, son propos entre en contradiction avec la pensée politique de Saint Simon, auquel il dit se rattacher. Dans “Le nouveau christianisme”, Saint Simon écrira dans son premier dialogue « les hommes doivent organiser leur société de la manière qui puisse être la plus avantageuse au plus grand nombre (…), de manière à garantir à la classe la plus pauvre l’amélioration la plus prompte et la plus complète de son existence morale et physique ». Une pensée restant donc à éclaircir…
Gérard Collomb évoque la montée en charge des dépenses de santé liées à l’allongement de la durée de vie, je n’entrerai pas le débat, mais cette théorie est contestée par les chercheurs du Centre pour la recherche économique et ses applications dirigé par Daniel Cohen. Il justifie le report de l’âge de départ à la retraite, en partie à cause de l’évolution du rapport cotisants/bénéficiaires et parce que l’allongement de la durée de vie provoque un recul structurel de la croissance. Certes, mais il n’évoque pas la solution traitée dans le livre de Gosta Esping-Andersen « Les trois leçons de l’Etat-Providence » : Celle-ci consiste à augmenter fortement le nombre de places en crèches afin de faciliter l’emploi des femmes et financer ainsi le système des retraites.
Concernant son approche du féminisme, il cite des saint-simonniennes, lesquelles ont conçu et réalisé une première revue uniquement par des femmes. Il estime que leur message pourrait encore être repris par de nombreux féministes. Or, Gérard Collomb n’a pas manqué encore très récemment de raillier des élus qui demandèrent à ce que la parité soit mise en œuvre dans les associations d’élus. Et lecture surprenante, il considère Lyon au masculin alors qu’il s’agit d’une ville (p.89).
Il en vient à parler des écologistes, lesquels, selon lui, ne s’intéressaient pas aux questions sociales avant 2008. C’est bien mal les connaître, car tout comme les socialistes, ils sont traversés par des courants divers, d’extrême gauche à centre gauche, pour ne pas dire centre droit. De plus, si les écologistes ont effectivement des préventions vis-à-vis de la science, ils ne remettent pas pour autant en cause tout progrès scientifique et technique. Les écologistes pensent, comme les chercheurs du Cluster 13 environnement de l’Institut national des sciences appliquées et de technologie de Villeurbanne, qu’il faudrait que les institutions accordent moins d’importance à la technique mais davantage à la science des usages.
Il estime qu’il existe chez une partie des écologistes une position de retrait par rapport à l’humanisme qui fait débat. « L’humanité n’est pas une espèce comme les autres, tel me semble être le fondement de l’humanisme ». Je dois bien reconnaître qu’il a en partie raison et que certains écolos de droite font passer la nature avant l’homme. Pour autant, je suis surprise d’entendre encore les responsables du pôle écologique dire que «L’homme est un être supérieur et ne peut dépendre des êtres vivants inférieurs ». Conditionner la survie de l’humanité à la préservation de la biodiversité sur Terre serait jugé trop vert pour être socialiste…Gérard Collomb écrit que « l’espèce humaine ne se pose jamais que des questions qu’elle est en capacité de résoudre » avant d’évoquer «la question sociale » puis « le problème écologique », on ne peut qu’y voir un certain malaise…
Les écologistes, au nom de la défense de l’émergence culturelle, dénonceraient les grandes institutions, les grands noms de la culture. « Je vois cette sensibilité monter dans ma région, et dans un certain nombre d’autres. Il faudrait n’aider que les petits ». Les écologistes portent souvent les grands noms de la culture, d’ailleurs, sociologiquement, les écologistes sont des cultureux. Il s’agit du parti politique où les militants sont les plus diplômés. Ils ne vont donc pas se couper de la culture, même si certains, notamment ceux d’extrêmes gauches ex soixante-huitards peuvent entretenir un rapport complexe avec le passé et tomber dans la facilité de vouloir en faire table rase. Il est vrai que les écologistes sont fascinés par la marge, ce qui n’est pas le cas du parti socialiste. Les écologistes sont girondins alors que le parti socialiste hérite d’une tradition jacobine.