Vers une société de pleine activité
Pour un peu, on aurait presque oublié le lundi de Pentecôte, cette fameuse « journée de solidarité » créée par Thierry Breton et destinée à financer la prise en charge des personnes âgées, victimes de la canicule de l’été 2003. Après ce terrible événement, le premier geste de solidarité aurait été d’agir sur ses causes profondes pour éviter qu’il puisse se reproduire, c’est-à-dire se lancer dans une véritable politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais, comme en matière de santé, la vision de court-terme conduit à ne traiter que les symptômes, en oubliant les causes.
L’attention s’est donc concentrée sur un seul aspect du problème : les conditions de vie des plus fragiles, seniors et handicapés. Cette question est à l’évidence de première importance : notre capacité à être solidaires de nos anciens est un élément déterminant de la société dans laquelle nous évoluons. Mais cette solidarité entre générations ne peut-elle être renforcée que par le seul aspect pécuniaire ? D’autres formes d’échanges, comme le temps libre passé auprès des plus âgés, ne sont-ils pas des moyens tout aussi valables, si ce n’est davantage, d’améliorer la vie de ces derniers ? Ceci nous renvoie à une question plus générale : faut-il travailler plus pour obtenir une meilleure qualité de vie ?
On peut légitimement en douter : à l’évidence, nous sommes infiniment plus riches que lorsque la semaine de travail était de 48h, plus encore que lorsqu’elle n’avait aucune limite de temps. Et la diminution du temps de travail est une tendance historique à laquelle aucun pays n’échappe. En 2006, alors que la loi sur les 35 heures est presque entièrement démantelée, on ne travaille que 36,4 h par semaine en moyenne. Pour les grands pourfendeurs de l’exception française, il est bon de comparer ce chiffre aux 36,5 h des anglais et aux 34,5 h des allemands, sans parler des 29,8 heures des hollandais… A l’heure du retour orchestré de la « valeur travail », il ne faudrait pas oublier que notre économie de services repose essentiellement sur les loisirs des autres. Les économistes, même les plus orthodoxes, ont depuis longtemps compris que le temps libre est un puissant stimulant de la demande, donc de l’activité. Plus important encore, le temps libre ne se résume pas à l’oisiveté : il permet de se consacrer à des formes d’activité non rémunérées (art, vie associative, etc), de multiplier les échanges entre les personnes. Or la qualité de vie dépend directement de cette richesse intérieure et personnelle. C’est pourquoi les verts proposent notamment d’aller vers une déconnexion de l’emploi et du revenu, par la mise en place d’un revenu social garanti. Nous promouvons une société de pleine activité, et non de plein emploi.
Il s’agit d’élaborer un projet de société où l’on cesse de raisonner en trois temps de vie quasiment hermétiques : les études, la vie active et la retraite, mais au contraire où l’on établit des passerelles entre ces moments. C’est notamment en sécurisant les parcours professionnel que nous pourrons tendre vers une société du temps choisi. Il faut, par exemple, inventer des dispositifs pour que les droits à la formation acquis individuellement lorsque l’on travaille soient utilisables pendant les périodes chômées. Une des mesures serait de permettre à tous les ménages de faire appel à des aides à domicile, sous forme d’exonération mais aussi de crédits fiscaux, à condition de faire appel à une structure intermédiaire, une association spécialisée dans l’aide à domicile, ceci afin d’éviter les temps partiels subis et permettre une valorisation de ces métiers.
Nous souhaitons également accorder une allocation d’autonomie aux jeunes afin qu’ils puissent suivre leurs études et ne pas prendre des emplois au détriment des chômeurs peu qualifiés, dont la prise en charge est beaucoup plus coûteuse à la société. Nous proposons de moduler les cotisations sociales des entreprises, non pas au niveau du SMIC, mais sur une échelle de salaires comprise entre 1,5 à 2 fois le SMIC : ceci afin d’éviter l’écueil des trappes à bas salaires et de redonner du pouvoir d’achat, et ainsi sortir d’une trop longue période de désinflation compétitive. A l’heure actuelle, si l’impôt sur les bénéfices est de 37% en France et de 12% en Irlande, un ouvrier français coûte beaucoup moins cher du fait de la modération des salaires depuis 1983. L’espace économique existe pour rehausser les salaires les plus faibles ; mais il convient, en parallèle, d’avancer vers une harmonisation fiscale européenne et de lutter contre les paradis fiscaux.
Est-ce normal que 85 milliards d’euros aillent directement rémunérer actionnaires et fonds de pension, au détriment de notre capacité d’investissement collectif ? Ou que seuls 3% des contribuables aient profité de près de la moitié de la baisse d’impôt sur le revenu ? Le gouvernement, en abaissant les prélèvements sur les revenus du capital et en réduisant l’impôt sur le revenu, n’a fait qu’accroître les inégalités. La question du financement de l’Etat et de la protection sociale est pourant éminemment centrale. Et que dire de la politique de l’Etat consistant à transférer des charges aux collectivités locales sans que les ressources suivent, ce qui contraint ces dernières à accroître les impôts locaux, les plus injustes fiscalement car les moins liés aux revenus et les moins redistributifs ? Revenir sur les baisses d’impôt des dernières années permettrait à l’Etat de retrouver 50 milliards d’euros de 2007 à 2012. Nous devrions également rendre la CSG progressive afin de taxer davantage les revenus des capitaux et intégrer les plus values réalisées sur la vente de produits financiers ou immobiliers dans l’impôt sur le revenu des personnes et sur les sociétés pour les entreprises.
L’immobilier est également un facteur clé de toute politique financière. Après la déception générée par la spéculation boursière, le logement apparaît de nouveau comme un placement sûr, au point d’attirer les fonds de pensions étrangers. A Paris, les ventes aux étrangers représentent ainsi 8,7% des transactions, et contribuent directement à augmenter la pression sur les prix. La financiarisation de l’économie joue ici aussi son mauvais rôle : Jean Pierre Raffarin a offert aux grandes sociétés foncières la possibilité de se transformer en Sociétés Immobilières d’Investissement Côté (SIIC), exonérés d’impôt sur les plus values et bénéfices. Les souscripteurs peuvent ouvrir un PEA, également exonéré d’impôt. Les actionnaires étrangers sont quant à eux souvent imposés dans leur pays d’origine et non en France, traduisant un manque à gagner considérable pour l’Etat et, finalement, un encouragement à de nouvelles ventes à la découpe. Et pendant ce temps, on assiste à un démantèlement du livret A, sur lequel reposait le financement de la construction des logements sociaux.
On le voit, les politiques fiscales et la forme ou encore l’assiette des prélèvements conditionnent la répartition des richesses et la capacité d’un pays à développer la protection sociale des plus pauvres, l’éducation, la recherche, la santé, le logement ou encore la protection de l’environnement. La fonction publique a en particulier un rôle essentiel à jouer en termes d’aménagement du territoire (maintien des hôpitaux, attractivité pour les entreprises…). S’il convient de bien gérer les deniers publics, les emplois publics demeurent essentiels pour assurer une cohésion et égalité sociale et territoriale, et concrétiser la volonté de solidarité entre tous. Tout ceci ne doit pour autant pas faire oublier que les relations humaines ne se réduisent pas uniquement à des flux monétaires, et que c’est la qualité des relations que nous entretenons entre individus qui fonde le caractère durable de la société et de la démocratie.