A l’heure où les médias mettent l’accent sur le mouvement de grève des gardiens de prison, il n’est pas inutile de citer la célèbre phrase de Victor Hugo, pour lequel « Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison ». J’avais évoqué la proposition Gosta Esping-Andersen, auteur des “Trois leçons sur l’Etat-providence”, consistant à augmenter le nombre de places en crèche pour les enfants de 1-3 ans, âge critique et déterminant pour une réussite éducative, et obtenir de facto, une baisse de la pauvreté, du chômage et de la délinquance ainsi qu’une amélioration des ressources de l’Etat.
Dans un autre article, je faisais part du rappel d’Eva Joly, qui fut juge d’instruction dans l’affaire Elf et auteur de « Notre affaire à tous« , aux trois étages de la justice pensés par Fernand Braudel dans “Civilisation matérielle, économie et capitalisme” : Le premier étage de la subsistance et le troisième étage de l’économie-monde n’obéissent pas à la loi, seul le second étage de la majorité des citoyens reconnaît la légitimité des contraintes sociales.
Elle citera l’oeuvre de Michel Foucault dans “Surveiller et punir”. Celui-ci constate que la justice se polarise sur les « illégalismes de biens » tout en négligeant les « illégalismes de droit », celui des cols blancs. Eva Joly estime que l’idée que la justice puisse être réparatrice est désormais dépassée. Ainsi, est-il vain de s’attendre à un quelconque acte de repentir de la part des délinquants financiers.
Selon Durkheim, la justice, en réprimant les criminels, viserait surtout à conforter les honnêtes gens. Les difficultés en milieu carcéral ne datent pas d’aujourd’hui, à la différence près que le gouvernement actuel se trouve tiraillé entre « répression-coercition-travail forcé » et »l’humanisation des conditions de détention » attendue par l’Europe et la LDH, tout en oubliant d’investir le champ de la « prévention ».
Actuellement, les peines d’incarcération portent sur :
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25% viol ou agression sexuelle ;
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23% vol ;
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14% infraction à la législation sur les stupéfiants ;
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10% violence ;
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4% escroquerie ;
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2,3% homicide ;
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2,5% infraction à la législation sur les étrangers.
L’institution carcérale est censée répondre à de nombreux objectifs :
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un objectif restitutif à l’égard des victimes. On constate en effet un mouvement croissant en faveur de la pénalisation – mis à part pour celui du milieu des affaires que le gouvernement souhaiterait dépénaliser ;
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un objectif de dissuasion, l’incarcération devrait dispenser les coupables de récidives, mais dans les faits, cela n’est pas avéré. Les plus grands récidivistes sont les toxicomanes et pour cela d’autres réponses doivent être apportées ;
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un objectif de réhabilitation en proposant aux condamnés une réinsertion sociale, mais la suroccupation, le manque d’hygiène, la violence entretenue dans ces lieux fermés les rendent plutôt criminogènes ;
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un objectif de sauvegarde sociale afin d’empêcher les délinquants de nuire à la société. Médiatiquement, le gouvernement mise plutôt dessus, quitte à amplifier le phénomène « sécuritaire » cher à l’électorat FN ;
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la protection de la société à usage préventif - par isolement des pauvres, des vagabonds, des personnes sans carte de séjour, des réfugiers politico-climatiques, des malades psychatriques - fait que la prison prend le relais des centres médico-sociaux ou se remplit d’un flux de personnes nomades ayant pour principal tort d’être « non identifiées ». Big brother n’est pas loin….et la crise climatique aussi.
Sous le terme de prison, on entend en fait différentes catégories d’établissements, dont :
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les 24 centres de détention »accueillant » que les condamnés ;
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les 120 maisons d’arrêts »accueillant » condamnés et prévenus ;
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les 5 maisons centrales réservées aux condamnés à de longues peines ou peu réinserables ;
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les 28 centres pénitentiaires, établissements mixtes ;
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les 13 centres de semi-liberté autonomes.
Jusqu’au XIXe siècle, les prisons relevaient du privé (par DSP) et les individus devaient y travailler pour survivre. Les abus ont été vivement dénoncés par Toqueville et Lucas. Tocqueville considérait également qu’il valait mieux isoler les détenus afin de favoriser leur méditation et leur réinsertion (modèle pennsyvalnien ou phidalelphien…au risque de la désocialisation et du suicide), ce qui fut mis en oeuvre dès 1841 en France. En 1811 Napoléon tenta de confier le patrimoine et la gestion des prisons aux départements, mais cela ne fonctionna pas, si bien que l’Etat repris la charge de ces institutions en 1855. En 1875, une loi renforca les conditions de solitude carcérale. La construction et la gestion péntientiaire (alimentation, transports des détenus, maintenance, entretien des bâtiments) pouvaient être de nouveau confiées au privé par DSP. Puis sous la 3e République, le régime carcéral fut modifé, des mesures de substitution à l’ enfermement furent prises en 1912, en 1945 puis en 1975. En janvier 2006, la cour des comptes souligna toutefois que le coût de détention dans les prisons concédées était supérieur de 16% à celui des prisons sous gestion publique. Surpopulation, délabrement (1/3 des établissements date de plus de 50 ans, 25 établissements doivent fermer d’ici 2012), biais sociologiques (26% étrangers, 42% franciliens), 55% des détenus souffrent de troubles psychatriques dont 30% de troubles de la personnalité ou du comportement, présence de jeunes mères avec bébé, insécurité à l’intérieur des murs, insuffisance de personnels et d’espace de travail, manque de moyens de réinsertion. Les agressions contre le personnel augmentent. Le taux de détenus par rapport à la population est de 91 pour 100 000 en France (proche Italie, Allemagne, Pays-Bas), 140 au Royaume Uni, 700 aux Etats-Unis. Bien que relativement bas, ce taux n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Le nombre d’incarcération sans liberté conditionnelle croît après chaque affaire médiatique (affaire Patrick Henry, affaire Francis Evrard…), même si celui des détenus en attente de jugement diminuera suite à l’effet Outreau. En 2007, le gouvernement a dû faire face à la surpopulation galopante produite par ses politiques sécuritaires (peines planchers, suppression des grâces, durcissement des conditions de liberté conditionnelle). La loi sur la récidive pourrait mener 10 000 personnes de plus en prison (comment peut-on le savoir ?). Selon une étude de l’administration pénitentiaire (idem?), la France comptera 80 000 détenus en 2017 pour un nombre de place de 67000. L’administration pénitentiaire française compte 26 000 agents, dont 20500 de surveillance, soit 1 agent pour 2,6 détenus. Une journée de détention unitaire coûte en moyenne 65 euros, soit 25 000 euros/an/détenu (contre 33000 en Allemagne, 44000 en Italie), loin des 6500 euros/jour/jeune que nécessitent les centres éducatifs fermés (3 adultes pour 1 jeune)..Le problème chronique de surpopulation suscite régulièrement des mutineries et revendications des gardiens. Pour le moment, les négociations post-mutinerie portent sur les effectifs en personnel, mais il ne faudrait pas que le budget qui sera consacré (médiatiquement ?) à la construction de nouvelles prisons limite les dépenses en matière de rénovation et de mesures médico-éducatives, ni n’obère une nécessaire réflexion sur les conditions du vivre ensemble et sur les moyens donnés aux plus démunis/populations fragiles bien en amont.
Si quelques réformes portant sur l’humanisation des prisons furent entreprises, elles demeurent insuffisantes. Précédemment en 2000, le rapport Canivet « Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires » recommandait l’accès du droit à la prison et la mise en place d’un contrôle extérieur. Une loi rendit possible la remise en liberté sous surveillance électronique (PSEM). La loi pénitentiaire de 2002 contribua à humaniser la vie en cellule, en accordant un droit à la vie privée (intimité en cellule et en parloir, UVF) et droits sociaux (travail, minimal social). En 2005, le Ministère décida la création d’établissements pénitentiaires pour courtes peines afin d’éviter les cohabitations entre criminels endurcis et primo-délinquants. Le plan Perben-Bedier permit la création de 8 unités hospitalières sécurisées pour les malades incarcérés. Cela n’empêchera pas le Sénat de remettre en 2006 un rapport intitulé » Les prisons : une humiliation pour la République ». La même année, l’OIT assimile à de l’esclavage les conditions de travail des détenus en France (absence de contrat, rémunération inférieure au Smic). Toujours en 2006, les prisons françaises seraient les pires en Europe après la Moldavie selon Alvaro Gil Robles, Commissaire européen aux droits de l’homme, auteur du rapport « Le respect effectif des droits de l’homme en France ». La cour européenne de Justice sanctionnera la France à de multiples reprises et la même année a eu lieu la révision des règles pénitentiaires. En septembre 2007, Rachida Dati institua le poste de contrôleur général des prisons….Celui-ci vient de remettre son premier rapport le 8 avril 2009. L’équipe de Jean-Marie Delarue a pu visiter 52 établissements sur les 5 800 lieux d’enfermement en 2008 : 16 établissements pénitentiaires, 14 locaux de garde à vue, 11 centres de rétention pour étrangers, 5 hôpitaux psychiatriques, 4 locaux de douanes, 2 dépôts de palais de justice. Il y a 62 700 détenus pour 52 534 places au 1er mars 2009, soit un taux d’occupation de 119%. Le principal problème reste la suroccupation. Certains manquements sont pointés dans son rapport : l’accès aux soins, respect de l’intimité et du secret médical, activités proposées, accueil des proches, accès au travail…Le système pénitentiaire français reste teinté d’arbitraire et d’atteinte au droits fondamentaux. En mars 2009, la Garde des sceaux présentera devant le Sénat un projet de loi pénitentiaire portant sur les aménagements de peines et les peines alternatives (travaux d’intérêt général, surveillance électronique). Le projet de loi instaure un régime de responsabilité sans faute de l’Etat pour les décès en détention et le personnel pénitentiaire sera soumis à un code de déontologie. Sera créée une réserve civile composée de surveillants de prisons à la retraite (?). Le projet enterine l’encellulement individuel et réinstaure l’obligation d’activité – constitutif d’un recul depuis que l’obligation de travailler avait été supprimée en 1987 d’autant qu’il n’y a toujours pas de contrat de travail, d’acte d’engagement ou de rémunération égale au smic à la clef. Le projet de loi reconnaît un droit d’expression des détenus (téléphone, domiciliation) et au respect inconditionnel de la dignité (fouilles des cellules et fouilles corporelles encadrées), mais n’intégre pas l’article 3 de la CEDH interdisant la torture ou les peines et traitements inhumains ou dégradants et ne prévoit pas d’UVF supplémentaires. Il reconnaît un droit à un aidant pour les détenus handicapés mais ne donne obligation aux nouveaux établissements d’aménager qu’une seule cellule, ce qui est notoirement insuffisant. Selon l’INSEE, le handicap dans les prisons est trois fois supérieur à celui extérieur. Le sort des femmes enceintes et des jeunes mères n’a donné lieu à aucune disposition malgré la recommandation 1469/2000 mères et bébés en prison de l’union européenne (la Grèce prévoit une suspension de peine). Selon le sénateur Le Cerf, la loi pénitentiaire serait toujours « au milieu du gué ». Le projet de loi pénitentaire, adopté par le Sénat le 6 mars 2009, doit être examiné par l’Assemblée Nationale à partir du 12 mai 09.