Rappelons que le Président de la République Nicolas Sarkozy a annoncé le 9 décembre 2008 un doublement de la dotation annuelle aux projets de recherche en nanotechnologies, pour la porter à 70 millions d’euros par an, soit 350 millions en cinq ans ; et en application des engagements du Grenelle de l’environnement, le Gouvernement a souhaité organiser un débat sur les risques et conditions de développement des nanotechnologies, sur la base d’un dossier coordonné par le Commissariat général au développement durable.
La Commission nationale du débat public fut saisie le 24 février 2009 et vient d’annoncer sans surprise la constitution d’une Commission particulière présidée par Jean Bergougnoux, lequel avait déjà présidé la CPDP sur la francilienne. Polytechnicien, il fut Président d’EDF puis de la SNCF, avant d’être révoqué par Jacques Chirac suite à d’importants conflits sociaux alors qu’il dénonçait un manque d’investissement dans l’entreprise publique. Il a notamment réalisé une étude « Services publics en réseau : perspectives de concurrence et nouvelles régulations » en 2000 ainsi qu’un rapport sur l’énergie au sein du Conseil d’analyse stratégique en 2007. Il est européen, régionaliste et pro-nucléaire. En bémol, et ce malgré la qualité pédagogique de son propos, dans l’un de ses articles intitulé « la politique énergétique française face aux nouveaux défis de la planète », à aucun moment il n’abordera la question du traitement des déchets nucléaires.
La CNDP prendra ainsi en charge cette concertation selon les considérations suivantes : « Considérant que les produits contenant des nanoparticules sont déjà diffusés, que la R&D dans ce domaine, notamment en raison de la compétition internationale, revêt un caractère d’intérêt national, que ce secteur présente de forts enjeux socio-économiques notamment dans les domaines médicaux, industriels et énergétiques, que certaines propriétés des nanomatériaux manufacturés et des nanosystèmes issus de ces technologies peuvent leur conférer des effets secondaires sur la santé et l’environnement, que des incertitudes scientifiques fortes les concernant subsistent, que des questions légitimes d’ordre social, environnement et éthique se posent quant à l’opportunité de certaines des applications », « le débat devra éclairer l’Etat sur les modalités de soutien à la recherche et aux innovations,la caractérisation de l’exposition et l’évaluation de la toxicité sur l’homme et les écosystèmes, l’information et la protection du salarié sur son lieu de travail, l’information et la protection du consommateur,l’organisation du contrôle, du suivi et de la gouvernance, avec une attention particulière portée sur les questions de libertés publiques. Compte tenu des enjeux mondiaux en matière de recherche et d’innovation dans le domaine des nanomatériaux manufacturés et des nanosystèmes, une large place sera réservée aux aspects internationaux et européens sur le sujet.»
La commission particulière du débat public est toutefois pluraliste et fera nécessairement intervenir des experts. Reste, bien entendu, à préciser la nature de l’expertise. Pour cordonner les disciplines traditionnellement cloisonnées entre physiciens, chimistes, biologistes, informaticiens, technologues et leur trouver « un langage commun », le ministère de la recherche et le CNRS ont monté le réseau national C-Nano. Clément Rossignol, chercheur au laboratoire de mécanique physique de Talence, élu Vert à Bègles auprès de Noël Mamère, en a fait sa spécialité. Il est de ceux qui estiment urgent que ladite révolution sorte des cénacles de la science et de l’industrie pour être expliquée et débattue sur la place publique. Il a ainsi participé au documentaire de Julien Colin intitulé le « Silence des nanos » avec Benjamin Caillard du laboratoire d’intégration des matériaux et systèmes, le docteur Annie Sasco directrice de recherche en épidémiologie du cancer à l’Inserm, et Olivier Sigaut chercheur en sciences sociales et professeur à Sciences Po. Annie Sasco soulignera un manque d’investissement de l’Etat dans la recherche publique et l’évaluation des risques. L’agence française de sécurité sanitaire et de l’environnement du travail évoquera dans un rapport des « dangers potentiels » identifiés mais faute de méthodes de mesures adaptées, elle recommande des « bonnes pratiques » pour les salariés en contact avec ces matériaux. Comme les textes qui encadrent la mise sur le marché des produits chimiques et des médicaments ne prennent pas en compte les nano-matériaux, il y a « un vide juridique » précisera Clément Rossignol au journal Sud Ouest. Les nano auraient pu être intégrées dans la directive REACH. Philippe Lemoine, Commissaire de la CNIL, AAI créée en 1978, soulignera les avancées tout en estimant que « Les risques de dérive sont innombrables (puces RFID). La plupart d’entre eux peuvent toutefois être appréhendés par les principes fondateurs des législations « Informatique et Libertés » : principes de finalité et de proportionnalité, droit des personnes à maîtriser les informations qui les concernent, interdiction de traiter certaines informations sensibles. Aussi peut-on se demander si cette étape de méta-convergence technologique ne devrait pas susciter une méta-convergence juridique mondiale autour de ces principes ? Comment les CNIL européennes pourraient-elles s’y prendre pour amener les Etats-Unis à dépasser les règles sectorielles dont ils se sont dotés et à adopter une législation transversale, fondée sur les principes fondamentaux « Informatique et Libertés » et conforme à la nature du nouvel enjeu que représentent les nanotechnologies ? ». Si les nano sont dans les laboratoires de recherche, nous les trouvons aussi dans les supermarchés, lesquels vendent de nombreux produits « globalisés ». Il est avéré que ces particules de la taille d’un atome se sont glissées dans plus d’une centaine de produits plus ou moins courants, de l’électronique grand public aux cosmétiques et aux médicaments, en passant par la peinture en bâtiment, le béton ou la chirurgie.
Reste également à définir la forme du débat public. La grande mode est aux Conférences de citoyens, comme celle sur le Wifi et les antennes relais. J’ai toujours porté un regard critique sur ces formes de concertation, que je qualifierais d’élitistes car elles privilégient la technicité et la courte durée, au détriment de la démocratisation de la connaissance. Pour ne pas rester fermée sur mon positionnement, j’ai tout de même demandé à Marc Lipinski son film sur la Conférence de citoyens « Les nanos et nous » qu’il a organisé au Conseil régional d’Ile-de-France en 2007 en tant que VP en charge de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation scientifique et technologique….Même si cela est passionnant, je n’ai pas changé d’avis…Par ailleurs ce mardi, en écoutant à l’occasion d’une réunion associative de quartier, Etienne Klein, philosophe des sciences spécialiste du temps, directeur de recherche au CEA et enseignant à Centrale ainsi que membre de l’OPECST, je fus heureuse de constater qu’il partageait mon point de vue. Celui-ci évoqua le basculement d’une société de la connaissance vers une société de l’usage des technologies. Or, ce qui intéresse l’individu n’est pas l’objet scientifique mais les valeurs, ce qui fait sens ; au risque d’un excès inverse, comme le créationnisme ou l’amateurisme scientifique d’un Claude Allègre prétendant détenir « sa vérité » en dépit des travaux du GIEC. Il ne faudrait pas oublier qu’à l’origine, Descartes souhaitait maîtriser la nature en vue du bonheur et de la liberté. L’objet scientifique était volontairement limité et binaire, et n’avait pas vocation à être normatif ni à se substituer au projet politique. Or aujourd’hui, il faudrait innover pour innover, conquérir des parts de marché suivant un raisonnement purement mimétique, si bien que le projet scientifique se trouve définalisé…D’où l’effondrement de la prospective et un climat anxiogène… Etienne Klein souhaiterait que la revendication du « droit de savoir » devienne davantage un « droit de connaître », que le débat public ne soit pas réservé à quelques spécialistes, mais ouvert au plus grand nombre. C’est ainsi que la démocratie est censée donner le primat à la conscience sur la compétence, en espérant que cela motivera les citoyens à s’intéresser au sujet et à augmenter de la sorte leur niveau de compétence. A travers les nanosciences, il ne s’agit donc moins d’évaluer les risques techniques que de définir collectivement notre projet de société.
—
Préconisations de issues de la Conférence de citoyens Nano du CRIDF : principe de responsabilité et élaboration d’un protocole de manipulation par l’industriel ainsi que d’une charte de transparence par le Conseil Régional ; application du principe de précaution faute d’une législation adaptée, mise en place d’un étiquetage précis et clair apposé sur les produits issus des nanotechnologies, renforcement de la recherche ; création d’une instance indépendante à l’échelle régionale, moyens budgétaires à la CNIL et lobbying communautaire, partenariat avec les principales associations de consommateurs et information auprès des médias.
DIM C’nano Idf de Marcoussis http://www.cnanoidf.org/actu-conf/nanosciencesidf/actu-conf
Klein E., les tactiques de Chronos, Flammarion, 2009