Le silence contre la croissance
Le mouvement n’avait pas pris toute son ampleur lorsque le Président du groupe des élus verts du Conseil de Paris eut l’idée saugrenue de vouloir s’emparer du flambeau des JO dans les étages de la tour Eiffel ! La sanction ne se fit pas attendre : Aussitôt l’acte délictueux entrepris, le gouvernement français annonça que la Chine prit la décision de cesser toute relation commerciale avec la France. Je ne pu m’empêcher de me demander de combien d’emplois touristiques une telle action nous coûterait-elle et à combien pouvait bien se chiffrer les vies tibétaines aux yeux du MINEFI et du MAE ? Entre une diplomatie soft ou une diplomatie hard, quelle peut bien être la meilleure voie ?
Pour dominer le monde, l’histoire montre que cinq attributs doivent être maîtrisés en même temps : l’industrie et le commerce, la finance et la monnaie, le culturel, le militaire et le diplomatique. Or la Chine n’est que l’atelier du monde sans forte valeur ajoutée, possède un système bancaire découplé des grands groupes internationaux avec une monnaie inconvertible, dépend de l’information américaine, détient une puissance militaire certes relativement forte mais plus faible que celle des Etats-Unis, et se trouve géopolitiquement isolée bien que renforçant ses échanges régionaux. Elle est plus crainte pour les emplois qu’elle ferait perdre aux économies occidentales, pour les risques de déstabilisation financière, par son imprévisibilité dans les relations internationales et pour son nationalisme.
Les relations économiques que nous entretenons avec la Chine peuvent-elles contribuer à la rendre, petit à petit, perméable à nos valeurs démocratiques ? Le postulat de Montesquieu, repris par les libéraux, voudrait que “l’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes.” Les gains économiques auraient donc un rôle dissuasif sur l’entrée en guerre des pays. De plus, le commerce en augmentant les interactions entre les agents économiques augmente le flux d’informations et diminue les asymétries d’informations entre pays, ce qui a pour résultat de faciliter les négociations entre pays.
A l’opposé, le courant marxiste soutiendra que l’asymétrie des relations commerciales entre pays crée des inégalités. Dès lors, les conflits d’origine commerciale sont susceptibles de dégénérer en conflits armés. Ainsi, la probabilité de guerre est d’autant plus forte que l’information est incomplète (cf article sur l’ouvrage ”La mondialisation est-elle un facteur de paix ?” du CEPREMAP).
Or si l’Amérique préfère ne pas échanger ses technologies avec la Chine de crainte de voir émerger rapidement une concurrence industrielle et commerciale, l’Union européenne a, quant à elle, une position quelque peu différente et consent à effectuer des transferts dans certains domaines afin de conjurer le sous-développement chinois.
La coopération décentralisée : un échange de savoir-faire équitable ?
Dans son livre “Complètement débordée”, Zoé Shépard, administratrice territoriale au Conseil Régional d’Aquitaine, évoque la vacuité de sa mission laquelle consistait à mener des relations de coopération avec un canton chinois en y installant une représentation de sa collectivité. En allant sur le site du MAE, j’y ai trouvé une carte des différentes coopérations menées entre les collectivités et la Chine, or la plupart des “fiches actions” sont vides. Je lis aussi que la Ville de Lyon a développé un partenariat avec Canton et que le Conseil Régional Rhône-Alpes a trois partenariats avec la Chine, dont celle de l’Entreprise Rhône-Alpes International (Erai). “Bras armé de la Région” créée en 1987, Erai a pour mission de simplifier l’export pour les entreprises rhônalpines, d’attirer des investisseurs étrangers et promouvoir la région Rhône-Alpes à l’international, de renforcer le positionnement de Rhône-Alpes dans les réseaux internationaux, et de favoriser l’internationalisation des clusters et pôles de compétitivité rhônalpins. Quel peut bien être son bilan en Chine ?
Selon Erai, il y aurait 153 entreprises d’origine rhônalpine en Chine et 7 entreprises chinoises implantées en région Rhône-Alpes. La Chine serait le 3e fournisseur et le 9e client de Rhône-Alpes. Elle fournirait 8% des importations de Rhône-Alpes (2,9 Md €) et absorberait 2,7 % de ses exportations (1,1 Md €). La Chine constitue 8% des investissements directs étrangers et se range au 6e pays étranger investisseur. Quels sont les secteurs d’activités porteurs : Il semblerait que 40 entreprises aient participé à l’exposition universelle de Shangaï 2010, “permettant d’introduire des matériaux et des techniques de pointe qui font les caractéristiques et la qualité de la réalisation finale : la performance thermique, des installations visant à réduire la consommation énergétique, la production d’un air dépollué par phyto-remédiation et de l’eau potable dans tout le Pavillon”. L’Ecole Centrale de Pékin qui accueille des étudiants de Centrale de Lille, Lyon-Ecully, Marseille, Nantes et Paris depuis 2005 ; les entreprises Total, Safran, Schlumberger, EDF, Alstom, PSA, EADS l’ont bien compris et coopèrent déjà avec l’Ecole centrale de Pékin. Toutefois, il semblerait que la Région ait plutôt vocation à accueillir le savoir faire technologique des entreprises chinoises concernant le photovoltaïque [YinGli Green enerGY].
Selon Erai : ”Rhône-Alpes participe à presque trente Pôles de compétitivité et Clusters en 2009 et se positionne comme une des premières régions d’accueil des sociétés étrangères du photovoltaïque en France. Les acteurs internationaux du photovoltaïque se montrent de plus en plus sensibles au potentiel régional, face à l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne. Cette attractivité croissante résulte des investissements réalisés ces dernières années par la Région Rhône-Alpes et ses partenaires dans le secteur du photovoltaïque, associés à un travail de fond de prospection mené collectivement à l’international.”
Ecoenergies-Cluster met en réseau plus de 250 acteurs privés qui souhaitent contribuer au développement des filières de la maîtrise de l’énergie et des énergies renouvelables en Rhône-Alpes sur le secteur du bâtiment. De même que le pôle de compétitivité Tenerrdis. Quant à l’approvisionnement, la première usine de silicium entièrement dédiée au photovoltaiïque devrait voir le jour en Alpes de Haute-Provence. Le consortium Silpro a été créé par la société française Photon Power Technologies (basée à Dardilly), le groupe d’énergie néérlandais Enercon et une start-up norvégienne Norsun.
La coopération nationale : une assurance-vie ?
Au niveau national, l’AFD a signé un accord-cadre en octobre 2004 avec le ministère chinois des Finances, en présence des présidents Hu Jintao et Jacques Chirac. En 2006, PROPARCO, filiale de l’AFD pour les financements au secteur privé, a ouvert une représentation à Pékin. Son action se concentre sur l’amélioration de l’efficacité énergétique de la croissance chinoise ainsi que sur la lutte contre le dérèglement climatique, avec comme critère de sélection des projets le volume de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Selon leur plaquette, l’AFD contribue à la promotion de l’usage d’énergies sobres en CO2 (co-génération au gaz naturel par exemple), d’énergies renouvelables (énergies solaire, éolienne et géothermale, petites centrales hydroélectriques) ou encore à l’optimisation de la consommation d’énergie dans ses secteurs d’usage ; l’AFD soutient des projets d’électrification ferroviaire et de réduction de la demande de transport routier, ainsi que des projets d’amélioration des transports urbains (planification urbaine, gestion du trafic, systèmes de transport urbain sobres et propres) ; elle participe à des projets d’amélioration des systèmes de construction, de chauffage urbain et de climatisation (amélioration des normes de construction, optimisation de la consommation d’énergie dans l’habitat), mais aussi à l’amélioration de la gestion des déchets urbains, notamment en développant l’utilisation des gaz issus de déchets pour produire de l’électricité.
Toutefois, cet affichage ENR ne servirait-il pas de faux-nez à deux Etats nucléocrates ? C’est un fait que la France n’a investi que 26 M d’euros dans la recherche et développement d’ENR, comparé aux 175 M d’euros consacrés par l’Allemagne. Les écologistes reprocheront à l’Etat de surinvestir dans le nucléaire, aux dépens de la R&D dans les ENR. L’AFD n’en parle pas, tout juste pouvons nous constater que la construction d’un nouvel axe routier serait compatible avec la réduction des émissions de GES, ou encore que la construction d’une nouvelle centrale hydraulique avec la protection des biens publics mondiaux.
En fait, il faut lire la déclaration conjointe pour un partenariat global de 1997, revisitée en 2004, confirmée en 2007, pour comprendre. Cette déclaration a pour objectif d’« approfondir le partenariat stratégique » entre nos deux pays. La décision stratégique repose “sur la conviction qu’un dialogue confiant avec la Chine est de nature à favoriser l’évolution du pays vers davantage de stabilité, de croissance et de liberté. La Chine pèse désormais sur tous les équilibres mondiaux, qu’ils soient écologiques, économiques ou financiers. Il est donc important pour la France de travailler avec la Chine sur un pied d’égalité et en véritable partenaire”. Ce “dialogue confiant” vise à réaffirmer le caractère central du partenariat stratégique franco-chinois, de tracer les perspectives de notre partenariat industriel (accord de coopération dans le domaine de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire) et de renforcer notre coopération dans de nouveaux domaines (changement climatique, développement urbain durable, sécurité des produits…).
Théorie des jeux : vers une sinisation du monde ?
L’investissement de l’Agence France Développement dans l’énergie solaire chinois sera-t-il un jeu gagnant-gagnant ou un jeu à somme nulle ? Si le marché existe en France, nous n’avons pas suffisamment d’entreprises qualifiées dans ce domaine, alors que 3 entreprises chinoises sont dans le top 10 des entreprises exportatrices de modules photovoltaïques. De plus, même si la Chine a rejoint l’OMC en 2001, son marché intérieur reste encore fermé pour les systèmes productifs de troisième génération mis en place par les investisseurs étrangers. Or, l’objectif des investisseurs étrangers n’est plus tant de déplacer la fabrication pour casser les coûts et ré-exporter mais de développer un marché en Chine même. Il est plus probable que les Chinois viennent – modérément, comparé à son implication avec les pays africains non démocratiques ou avec une Amérique surendettée - investir et trouver des débouchés en France que l’inverse.
Serait-ce pour autant gênant ? Quel impact sur les emplois en France [notamment pour Clipsol, Photowatt et implanté sur Bourgoin-Jallieu et appartenant au un groupe canadien ATS ; Tenesol, filiale d'EDF et de Total, dont le siège est implanté à la Tour de Salvigny mais ayant une usine de fabrication au Cap en Afrique du Sud, ; Imerys TC implanté à Limonest…], la structuration de la filière photovoltaïque localement (Rhône-Alpes compte 36 entreprises, soit 840 emplois dans le solaire photovoltaique et 34 entreprises, soit 350 emplois dans le solaire thermique) ?
En ouvrant le marché à l’international, ne serait-ce pas le meilleur moyen de faire baisser les coûts de fabrication de la filière solaire (lesquels ont été divisés par trois en 20 ans) ? Cependant, les bas prix chinois ne seraient-ils pas artificiels, faussant ainsi la concurrence ? L’empire du milieu présentera-t-il toujours le risque d’une dépendance accrue à l’énergie provoquant la hausse des cours, tout en étant à l’origine de forts dégâts environnementaux, ou la transition environnementale est-elle en cours ? Restera-t-il a minima l’usine du monde – soit une simple plateforme de production dotée d’une grande complémentarité régionale mais sans grande capacité d’innovation -, ou faut-il redouter une sinisation du monde et la montée d’un libéralisme autoritaire ?
Cet effort d’investissement à l’étranger (220,5 M d’euros de l’AFD sur 2004-2006, sans compter celui réalisé par les collectivités territoriales), ne risque-t-il pas de contrebalancer les effets de notre plan de relance, lequel fut proportionnellement moins ambitieux que le plan de relance chinois du 9 novembre 2008 (115 Mds d’euros sur deux ans), dette oblige ?
Les raisons cachées ne seraient-elles pas plutôt de stabiliser un pays imprévisible disposant de la force de frappe nucléaire ? L’imprévisibilité de la Chine serait la conséquence directe des deux guerres de l’opium (1840-42 et 1856-1860) et du sentiment d’humiliation que ressenti ce pays du fait du cadre commercial inégal qu’imposèrent une Angleterre et France colonialisatrices. Il s’ensuivit une phase de modernisation et d’industrialisation, d’apprentissage de la diplomatie et des technologies occidentales, soutenue par une élite chinoise internationale. Les humiliations en série que subirent les chinois alimentèrent un mythe patriotique, d’autant plus utile pour soutenir l’unité nationale depuis la chute de l’URSS. Son rapprochement avec l’Iran, l’Angola et la Birmanie pour leurs ressources pétrolières et matières premières, et accessoirement la Corée du Nord, n’ont rien de rassurant.
Loin d’une sinisation - même si la Chine est devenue une économie-monde au sens de Fernand Braudel -, celle-ci reste actuellement largement tributaire de ses exportations et si la pauvreté diminue, les inégalités et les incidents de masse ne cessent de s’accroître du fait de la question foncière. En effet, depuis le milieu des années 90, la Chine s’est largement appuyée sur la demande étrangère (30% PNB) et sur l’investissement (50% PNB) notamment américaine pour asseoir sa croissance économique. Le taux d’épargne de la population chinoise est également important du fait de l’absence de protection sociale. Le chômage réel oscillerait entre 15 à 20% selon les sources. La compétitivité du pays a été obtenue en baissant les salaires, et donc au détriment de la demande intérieure. Autant de facteurs de fragilité, signes d’une mondialisation imparfaite.
Le plan 2006-2010 serait toutefois plus équilibré (relèvement des minima sociaux, dépenses pour les logements sociaux, résorption de la dette des villages…) même si beaucoup reste à faire (politique redistributive, pacte fédéral pour financer l’école, lutte contre la spéculation foncière, assemblées locales élues, indépendance de la justice…). A noter un signe positif, paradoxalement lié à la crise : la perte de marchés occidentaux provoqua un repli de la Chine sur une politique de grands travaux d’infrastructure (accrue suite au séisme de Sichwan du 12 mars 2008). Et suite à la faillite annoncée de Lehman Brothers, la banque centrale chinoise eut le bon réflexe de baisser ses taux d’intérêt ainsi que le ratio de réserve obligatoire des banques. Il n’en demeure pas moins un sérieux mélange des genres entre le champ politique, économique et judiciaire. La problématique est donc plus politique que qu’économique.