Un recteur d’Académie aurait décidé d’offrir des places de football (OM) à des adolescents à condition qu’ils cessent l’école buissonnière. Ainsi, l’assiduité scolaire serait-elle récompensée par la fréquentation d’un club de football de haut de niveau, histoire de préparer les jeunes générations à “mieux” miser sur leur avenir !
Or, des compétitions à leurs dérives, il n’y a désormais qu’un pas vite franchi. Le sacral ne meurt pas, il mute, l’Etat providence a laissé place à la Société du spectacle. Arnaud Mourot de l’association “Sports sans frontières”, désireux de réinsérer des jeunes en situation d’échec scolaire par le biais du sport, déplorera le fait que l’économie ait pris le pas sur la dignité : Les “joueurs appartiennent aux clubs, à leurs investisseurs”.
Crise de confiance en l’Etat-Providenceet mainmise des grands groupes capitalistiques sur l’univers du football, le gouvernement sautera sur l’occasion pour entreprendre la dérégulation des jeux en ligne, alors que rien ne l’obligeait à mettre à mal un enjeu, pourtant, de santé publique, voire de protection de l’enfance.
Au niveau national, la bonne politique aurait consisté à renforcer la tutelle sur les monopoles (interdiction des paris à cote, plafonnement des taux de retour par la loi, encadrement de la publicité sur les jeux, protection des publics sensibles, moyens consacrés à la lutte contre l’addiction ) et non à la supprimer, voire, à interdire ces jeux comme en Allemagne.
Des éventuelles dérives des pratiques sportives :
Les compétitions sportives auraient remplacé les guerres nationalistes. « Les stades, écrira Regis Debray dans son ouvrage « Le moment fraternité », sont les cathédrales de la modernité. Par le volume et l’audace des constructions, c’est incontestable. Ils se ressemblent tous ? Les vaisseaux gothiques aussi. Ce sont des enceintes fermées, en forme d’anneau ou ovoïdes. Des foules s’y rassemblent volontairement, fidèles appelés fans, mais pas pour longtemps. Même si les spectateurs pratiquent le soutien sans participation, les cérémonies sportives obéissent elles aussi, à des rituels fixés d’avance (…). Le faire-frontière entre tribus est même l’essence du match entre équipes rivales. Aussi mondialisées et interchangeables que soient devenues ces dernières, les Euros, mondiaux et autres jeux olympiques offrent un exutoire aux derniers chauvinismes publiquement autorisés, entonnoirs d’agressivités nationalistes refoulées, et en Occident illicites. Quand la guerre est prohibée et que le gouvernement des hommes rétrécit en gouvernance, le conjonctif est en souffrance et le football a toutes ses chances ”.
S’est-on jamais demandé si les coupes du monde pouvaient être un symbole de paix et de fraternité ? Pour mieux cerner le malaise, il faudrait reprendre la pensée de Michel Caillat : «Comment penser le sport du 21ème siècle autrement que fidèle à son idéologie du progrès sans fin, de la “liberté de l’excès” et de l’extrême ? Sa faute, et celle de ses laudateurs aveugles, est d’avoir crû que l’on pourrait fonder une “société humaine” sur le culte du plus fort et du tri physique, sur la concurrence généralisée et la compétition permanente, sur l’idéal du dépassement, du risque et du jeu avec la mort, sur l’apologie de la virilité, sur la réification des athlètes, la chloroformisation des consciences, sur les communions magiques et les délires chauvins, sur les identifications les plus pauvres et les émotions les plus fades, sur l’anti-intellectualisme maladif….».
Dans la foulée du sociologue, certains relevèrent les vérités anthropologiques suivantes : d’abord, l’essence du sport est bien la mise à mort rituelle des combattants et il a bien a rapport natif à l’affrontement individuel et à la guerre ; ensuite, il a une fonction de compensation, la dépense physique sur le terrain cherchant à gommer la sédentarité du quotidien ; enfin, il a (ou a eu) une fonction sociale de préparation à la guerre, de “rebronzage de la race” (Coubertin), de maintien de la vigueur physique. Fonction à laquelle s’ajoute la nécessité de resserrer les liens entre les membres de la communauté, actrice ou spectatrice, par l’exaltation d’une identité collective.
De la libéralisation des jeux en ligne
Aujourd’hui, le marché légal des jeux d’argent en France est très encadré : le PMU a le monopole de la prise de paris, hors hippodromes, sur toutes les courses hippiques; la Française des jeux a le monopole des paris sportifs sur les matchs de football et de rugby ainsi que sur les loteries et autres jeux de hasard ; quant aux jeux dits « de cercles » (poker en particulier), l’Etat délivre des autorisations aux casinos et aux cercles de jeux fermés, très peu nombreux. Sur internet, seules deux formes de jeux sont légalement autorisées aujourd’hui : le PMU pour les paris hippiques et la Française des jeux pour les jeux de hasard. Tout le reste est illégal.
Or, le projet de loi encadrant l’ouverture des jeux d’argent en ligne vient d’être adopté les 7 et 8 octobre 2009 à l’Assemblée nationale, malgré l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 8 septembre 2009 validant le principe d’un monopole sur les jeux d’argent, principalement pour des motifs de protection de l’ordre public et de lutte contre le jeu pathologique. L’arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional, Bwin c. Santa Casa s’inscrit dans la lignée de jurisprudences antérieures (notamment CJCE, 21 sept 1999, Läära) qui se trouvent nettement clarifiées.
Même s’il est à déplorer que l’Etat n’ait pas toujours bien joué son rôle de tutelle en laissant la Française des Jeux, et dans une moindre mesure le PMU, mener des politiques commerciales, il est fort à parier que l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent se fera bien évidemment au détriment des personnes les plus vulnérables plus facilement enclin aux jeux. Ce marché des jeux en ligne, fort juteux, représentera pas moins de 2 à 3 milliards d’euros en 2012.
De plus, l’ouverture du marché du jeu entraînera nécessairement une augmentation de l’offre, et si le gouvernement cèda sur les jeux en ligne, à terme, l’ensemble du secteur (jeux en durs) pourrait bien basculer à son tour. L’obligation de licence en France (avec la soumission aux prélèvements fiscaux français revenant principalement à l’Etat : -5,7% – et à la Sécurité sociale : -1,8% ; contre -14% auparavant). Le total des prélèvements sur les jeux tout compris s’étant élevé à 5,95 milliards d’euros en 2006 en France) et la mise en place d’une autorité administrative de régulation (l’ARJEL + 3% des mises à la prévention dans la limite de 5 millions d’euros ) ne palliera certainement pas la libéralisation des paris à la cote.
Limités jusqu’ici à un seul jeu proposé par la Française des jeux, les paris à la cote change en profondeur les relations entre les joueurs et les organisateurs : contrairement au pari mutuel où tous les parieurs jouent les uns contre les autres, dans le pari à côte, c’est l’organisateur qui fixe la cote. Afin de limiter l’incitation au jeu, la loi encadrera la part des mises reversée aux joueurs (sachant que plus la redistribution aux gagnants est élevée, plus l’incitation à jouer est forte), ce qui signifie que des décrets fixeront le « taux de retour » des mises reversées aux joueurs.
La CJCE pointe toutefois « la possibilité qu’un opérateur qui parraine certaines des compétitions sportives sur lesquelles il prend des paris ainsi que certaines des équipes participant à ces compétitions se retrouve dans une situation qui lui permette d’influencer directement ou indirectement le résultat de celles-ci et ainsi d’augmenter ses profits ».