Retour sur un parti architectural raté et sur le choix de cet urbanisme hors sol : Un 14 juillet 1996, sur fond de scandale de l’amiante, le président Chirac annonça à la télévision : “il n’y aura plus d’étudiants à Jussieu avant la fin de l’année“.
Cette annonce fit suite à l’activisme de Michel Parigot responsable du Comité anti-amiante de Jussieu qui déclara en 1994 : « Nous avons été confrontés au Comité Permanent Amiante très rapidement et l’existence de ce truc m’a sidéré ; quand on téléphonait au ministère de la santé, on tombait sur quelqu’un de ce comité qui nous répondait : « Il y a plus de risques sur le périphérique que dans votre université ». Nous avons très vite compris que cette structure n’avait réussi à fonctionner aussi longtemps que parce qu’elle n’avait pas été dénoncée publiquement. C’est le genre de choses qui ne supportent pas la lumière. ».
Le 19 octobre 1996, le Professeur Claude Allègre continua cependant à publier une défense du lobby de l’amiante et qualifia l’affaire de Jussieu de « phénomène de psychose collective », avant de devenir…Ministre de l’Education nationale.
L’avenir donnera cependant raison au Comité anti-amiante.
Si l’idée de déplacer les 50000 étudiants fut vite abandonnée par les pouvoirs publics, il est décidé que les travaux de désamiantage devront être lancés sans plus attendre. L’Etat a donc conclu des marchés sans mise en concurrence en invoquant le caractère d’ »urgence impérieuse » qui permettait de s’abstraire des contraintes du Code des Marchés Publics.
Le pilotage des travaux impliquait une pluralité d’acteurs : le Ministère de l’Education nationale, les universités Paris VI et Paris VII, le Rectorat de Paris… C’est pourquoi la création de l’Etablissement Public du Campus de Jussieu (ECPJ) décidée en 1997 avait pour finalité d’unifier le pilotage.
Mais l’ECPJ ne disposait aucunement des moyens d’imposer ses arbitrages aux multiples intervenants. Comme aucune planification d’ensemble n’avait été sérieusement considérée, ces marchés ont bien sûr été régulièrement renégociés à grand frais. La prise en compte tardive de la nécessité réglementaire de mettre tout le campus aux normes de sécurité incendie n’a rien arrangé.
Cela s’est traduit par une série de décisions contradictoires et un dépassement financier que le Ministère des Finances évalua à 500 millions d’euros. Le rapport de la Cour des Comptes de 2004 rend notamment compte du long feuilleton du désamiantage du campus de Jussieu et pose la question “des universités jalouses d’une autonomie qu’elles n’ont pas toujours les moyens d’assumer pleinement”.
Les travaux de désamiantage du campus de Jussieu ayant pris du retard, la préfecture de Paris a dû délivrer en décembre 2007 un second arrêté de prorogation portant la date limite pour la fin du désamiantage de Jussieu au 31 décembre 2010.
Les crédits du plan de relance (mesure 14) devraient permettre à l’établissement public du campus de Jussieu de respecter cette échéance en accélérant le désamiantage du secteur est.
En 2010, la justice accepta d’indemniser pour la première fois des salariés non (encore) malades, pour le stress permanent que représente leur exposition passée à l’amiante ; les salariés étant amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse (préjudice d’anxiété).
Pour autant, faut-il renoncer aux tours ou immeubles de grande hauteur (IGH), alors que nous subissons les conséquences d’une non prise en compte des besoins en logements, notamment sociaux, cumulée à une rareté du foncier disponible ?
Lors du marché international des professionnels de l’immobilier (MIPI) de 2007, de nombreuses maquettes de futurs gratte-ciel furent présentées : la tour de la fédération de Moscou, la tour Zlota de Varsovie, la tour de la liberté de New York, les tours Renzo piano et London tower bridge de Londres, les tours Granite, Generali et Unibail de la Défense…
Mais à la différence de la situation d’après guerre, les tours actuelles sont programmées pour soutenir les pôles de compétitivité. A Francfort, reconnue capitale européenne des gratte-ciel, l’agence d’urbanisme Jourdan & Miller admet que « l’intégration des logements dans les tours du centre ville, si elle participe à la pluralité des fonctions recherchée, ne concourt pas à la mixité sociale ; le prix élevé de l’immobilier dans les tours ne le permettrait pas « .
Pour créer davantage de logements sociaux, d’autres solutions existent comme la mobilisation des terrains mal utilisés, l’application du droit de réquisition d’immeubles de bureaux vides voués à la spéculation, la préemption des quelques logements loi 1948 restant…
Aux barres de Le Corbusier créées pour endiguer la crise du logement, s’est substitué le modèle de tours « Manhattan » coûteuses (2000 euros/m2 autour de 50 m, 3000 euros/m2 au delà de 150 m, 6500 euros/m2 au delà de 200 m, selon l’IAURIF) et énergivores (minimum atteignable : 120kWh/m2/an, loin du 50 kWh/m2/an du Grenelle ou des 15kWh/m2/an des Passiv Haus), aux services de grands groupes internationaux toujours plus performants et prestigieux.
La Green tower ne serait pas réaliste car trop coûteuse m’a confié l’un des architectes travaillant sur ce projet, le greenwashing ne serait donc pas au point. Fi du plan climat ! Ces tours sont destinées à faire fructifier les marchés financiers et touristiques très haut de gamme. Certains argueront que compétitivité rime avec solidarité, le discours est fallacieux. D’autres tenteront d’introduire de la mixité, c’est déjà mieux.
Pour montrer qu’ils sont entrés dans l’ère de la globalisation, des élus proposent une nouvelle et froide architecture allant jusqu’à 200 mètres de haut sur plusieurs sites parisiens situés au pied d’échangeurs routiers. Certes, les territoires sont difficiles.
Mais ne voit-on pas dans ces skylines, des escalades de façade, des sauts en parachute, des courses d’escaliers indéfinies, des paysages fascinant d’inhumanité, l’absence d’un véritable réseau viaire, l’apparition de gated communities à la verticale, l’établissement d’une nouvelle frontière territoriale entre Paris et les communes voisines.
Le Conseil de Paris a ainsi prévu de construire des tours sur plusieurs sites : porte de Versailles (150m), quartier Masséna-Bruneseau (150-200m), secteur Bercy-Charenton-quai d’Ivry (200m)… Souhaitons a minima, que les élus veilleront à intégrer la dimension « écosystème », à défaut de vouloir construire des éco-quartiers et des bâtiments à faible consommation énergétique.
Les spéculateurs financeraient certes la couverture des voies ferroviaires….mais aussi le lifting de leurs autoroutes urbaines et leur droit à polluer en contrepartie. Les territoires désespérés auront ainsi leurs cataplasmes, faute d’un investissement collectif et d’une planification suffisante.
Si certaines personnes disent très bien se porter dans les tours, Thierry Paquot rappelle qu’à ce jour, aucune étude psycho-sociologique n’a été menée sur le comportement des usagers d’une tour (circulation sanguine, vertige, sentiment d’oppression, peur du vide, sinusites, céphalées) ni sur la dépendance des habitants envers tout un appareillage technologique (air conditionné, ascenseur, réseau électrique…).
Aux difficultés éventuelles éprouvées par les usagers, les tours gênent également les riverains par leurs ombres portées et leur trop forte luminosité. A l’heure des économies d’énergie, ce gaspillage énergétique et cette pollution lumineuse ne sont pas acceptables. Les plantes et les animaux, tout comme les hommes, ont un besoin indispensable du cycle jour/nuit pour leurs métabolismes.
Or, avec une urbanisation mal pensée, des projets de construction d’immeubles de grande hauteur, ainsi que l’évolution des modes de vie consumériste, la lumière finit par envahir tous les biotopes. La lumière visible de loin sidère ou désoriente les oiseaux migrateurs. Les projets de tours auront pour effet de briser les corridors biologiques.