Le temps, la ville et l’urbaniste

18 janvier 2011

Dans la jungle des villes de Bertolt Brecht

Publié par alias dans Aménagement & urba

Qu’est-ce que la jungle des villes ? Pour Brecht, une situation absurde, un combat en soi, un combat sans l’autre, un univers ultra-capitaliste. 

Chicago, 1912. Un négociant de bois propose à un jeune bibliothécaire de lui acheter ses opinions et son rêve de liberté acquis au fil des lectures. Devant le refus du bibliothécaire, le négociant lui fait perdre sa place puis l’oblige à devenir lui-même négociant afin de se battre sur le même terrain que lui.  Les protagonistes vont se détruire mutuellement.

Selon Brecht, le manque de motivation du combat obéit à la loi de la grande ville, où les actes des hommes perdus dans l’abîme ne trouvent pas toujours d’explication.  Dans un monde où l’argent est maître, les idéaux les plus généreux ne tiennent pas : tout devient jeu de domination et de pouvoir. 

Le bibliothécaire se construit dans l’amertume quand le négociant se déconstruit dans la douleur. Les femmes sont mises aux enchères par les hommes. La famille soumise aux règles de la consommation et un productivisme asservissant sombre dans la misère et se désagrège. Dans la jungle des villes, l’isolement est si grand que même le combat n’arrive pas à rassembler les hommes rompus à l’exercice de l’errance, tout juste forgent-ils leur carapace.

La jungle n’est autre que l’ultra-capitalisme, c’est-à-dire la marchandisation en marche et le mépris des valeurs humaines. Brecht conclura sur le fait « qu’il n’est pas important de sortir le premier, ce qui importe, c’est d’en sortir vivant. »

La pièce écrite en 1923 peu avant le crash boursier, évoque Rimbaud par son esprit de vagabondage furieux et anarchique ; elle n’est pas toujours facile à suivre, les mots ne sont parfois que des coups portés arbitrairement. 

17 janvier 2011

Biennale d’architecture de Venise

Publié par alias dans Aménagement & urba

La métropole du plein et du vide est le parti architectural retenu par le Pavillon français à la biennale de Venise. 

Le paradoxe de cette biennale est la contradiction majeure entre son thème principal « peeple meet  in architecture » et « cet éloge du vide » du Pavillon français.

A l’aune du Grenelle de l’environnement, les urbanistes sont plutôt enclins à considérer les espaces naturels, agricoles et forestiers comme des espaces « pleins », et non  plus comme des espaces « vides » constituant plus ou moins implicitement des réserves pour l’urbanisation.

Pourtant, l’architecte urbaniste Dominique Perrault se targua d’un l’éloge à la nature qualifiée d’espace vide : « Les métropoles sont des territoires vastes et complexes, mais elles sont riches d’un matériau, le vide. Friches industrielles à transformer, zones agricoles, forêts, jardins à protéger, aménagement des fleuves, ces espaces libres sont notre futur.”

Selon moi, le vide est le non signifiant, un lieu sans perspective, un trop plein impersonnel, une surabondance événementielle et spatiale, un espace que les hommes n’habitent pas et donc ne se rencontrent pas, tels des rocades autoroutières ou bien des immeubles de grande hauteur construits sur dalle.

Rien à voir avec la nature où la vie est omniprésente.

17 janvier 2011

La roue du périphérique

Publié par alias dans Aménagement & urba

Installée au fond d’une des salles du Sénat, j’assistai à une présentation sur la naissance du périphérique. 1968, le bois de Vincennes poumon vert de la région francilienne se trouva brutalement scindé par le périphérique. Le 19 septembre 1969, Jacques Chaban-Delmas, premier ministre annonçait à grande pompe son projet de « Nouvelle Société » tandis que la planification répondait à l’idéal gaullien d’un  gouvernement rationnel de l’administration. Le 4 janvier 68, la Direction du budget et de la prévision avait lancé par décret la grande réforme portant sur la rationalisation des choix budgétaires (RCB) dont une des composantes fut les études coûts/avantages.

Or, l’échec du projet réformateur (RCB) porté par le triumvirat Direction de la Prévision, Direction du budget et Commissariat au Plan fut patent. Le périphérique sera mis en fonction cinq ans plus tard en 1973 au beau milieu de la crise pétrolière. Les pouvoirs publics n’avaient pas anticipé la crise énergétique. Cette crise est loin d’être finie et chacun peut aujourd’hui constater la résurgence d’abris de misère de plus en plus nombreux au cœur du bois de Vincennes ou le long du périphérique. Absurdité de la situation ?

L’Ile-de-France accusera doublement le coup. La prise de conscience de la raréfaction de nos ressources naturelles et de ses conséquences sociales n’aura pas été aussi rapide que le souhaitaient les écolos. Cette absence de prospective est un peu ce que je reprocherais à la maîtrise d’ouvrage ayant commandité l’étude TVK.

Afin de consulter cette étude, je m’étais rendu auprès de la Direction de l’Urbanisme où je fus très bien reçue. Le bureau du directeur adjoint dans lequel on m’avait installée était particulièrement spacieux et lumineux. Le bâtiment administratif situé à Morland donnait sur la Seine, les installations du Port Autonome de Paris et le Quartier Latin.

En 2005, la Ville de Paris et le Conseil Régional ont mandaté le cabinet d’architectes Trevelo & Viger-Kohler associé aux bureaux d’études Ter, Berim, Iter et l’agence paysagiste RFR, afin d’étudier l’insertion urbaine du boulevard périphérique. Celui-ci concentre 30 à 40% du trafic de la capitale sur 2% de sa superficie.

Dans le rendu de son étude sortie en mai 2007, à aucun moment le cabinet TVK n’a eu à interroger les solutions alternatives à l’usage du périphérique. Or peut-on de nos jours traiter une problématique urbaine sans aborder celle de la mobilité écologique ?

Les architectes mandatés se contenteront malencontreusement de traiter le symptôme en évitant soigneusement d’engager une plus lourde thérapie, tout en utilisant les outils des années 80 (démolition, murs anti-bruit, couverture, bâtiments écrans…).

Une exposition de l’étude ne supplantera aucunement l’indispensable débat démocratique avec les franciliens. Ce débat, s’il avait eu lieu, aurait permis d’accélérer les projets métrophérique-arc express en dépassant les clivages, qui portent sur les financements ainsi que sur la fréquence et localisation des arrêts.

Les nuisances sonores sont cependant belles et bien réelles me rétorquera-t-on.

Sur les trois projets de couverture inscrits dans le contrat de plan 2000-2006, deux ont pu être financés et sont en cours de réalisation (porte des Lilas et porte de Vanves) ; le troisième est encore à l’étude (Ternes Champerret), un quatrième projet n’ayant pas été retenu (Ivry).

Concernant la situation d’Ivry, la demande qui émanait de la commune nécessiterait une étude aéraulique en mesure de déterminer la longueur du tunnel nécessaire. Ce tunnel présenterait l’avantage de limiter les nuisances sonores et d’améliorer les franchissements en surface, mais impacterait considérablement la qualité de l’air à ses débouchés, porte d’Italie et porte d’Ivry, où deux équipements publics seraient aménagés.

L’étude prévoit de décongestionner la porte métropolitaine d’Italie en supprimant l’accès à l’autoroute A6B, tout en y renforçant le pool de transports en commun. Il s’agirait donc de « redonner à la porte d’Italie l’élan métropolitain qu’elle mérite », ce qui en soit ne veut strictement rien dire (comme si il y avait des territoires méritants et des territoires de relégation). Elle prévoit la prolongation de la ligne de métro 14 avec son raccordement sur la branche 7 Villejuif, un renforcement du maillage des pistes cyclables Paris-banlieue et des liaisons routières.

La suppression des échangeurs Paris-A6B par la double bretelle soulagera certainement la Ville du Kremlin-Bicêtre tandis que le transit se reportera sur la porte de Gentilly (Paris vers autoroute) et porte d’Ivry – quai d’Ivry (autoroute vers Paris).

Au droit de la porte locale d’Ivry, un bâtiment pont de dimension plus locale protégerait les riverains de la Zac Bédier des nuisances sonores du périphérique en tranchée recouverte. L’agence TVK annonce que ce bâtiment « deviendrait un signal architectural fort, offrant une vue spectaculaire sur la vallée de la Seine » ; alors que quai d’Ivry, le périphérique en viaduc serait appelé à devenir « une porte majeure en devenir ». Ainsi la roue tourne-t-elle.

Ou comment transformer Avenir Gambetta en nœud autoroutier de l’A6B ? Sans compter sur le plaisir qu’éprouveront de l’autre rivage les habitants de Charenton-le-Pont, déjà coincés entre l’A4, le BP et le bois de Vincennes.

Mais de ce côté, leurs voix (2650 charentonais et 1627 parisiens assourdis) auraient presque couvert celles du périphérique puisque l’étude prévoit une semi couverture de la porte de Charenton en fonction de l’évolution de la ZAC Bercy-Poniatowski (coût 56 237 500 €). Ils ne leur resteront plus qu’à demander d’autres murs anti-bruit pour faire face au report de transit de la porte d’Italie…

Ainsi nos équipes d’architectes, auxquelles participent Yves Lion, se félicitent de « renforcer la lecture claire de ces transversales au BP ». Fort heureusement, ils promettront en compensation l’extension du bois de Vincennes dans la Ville et davantage de liaisons douces. Olivier Philippe de l’agence TER dira à ce propos : « Le résultat est que dans l’imaginaire collectif, le périphérique est un peu une version moderne de la forêt : à la fois le paradis et l’enfer ».

17 janvier 2011

Paris périph de Richard Copans

Publié par alias dans Aménagement & urba

La Maison du Livre, de l’image et du son “François Mitterrand” de Villeurbanne organisa une belle rétrospective documentaire sur des projets urbanistiques. Parmi les films projetés : Paris Périph de Richard Copans, révèle ”une confrontation dynamique des échelles, des formes et des usages, qui prend ainsi une dimension poétique”.  Cet excellent réalisateur fut producteur des Films du passage puis des Films d’ici.

Qu’est-ce que le périphérique ? Un repère par les portes pour le banlieusard, un ailleurs pour les parisiens, un espace de transition pour tous, un endroit par lequel on passe mais où l’on ne va pas, sans destinée. Il ne porte pas le nom d’un illustre personnage, mais juste sa fonction. Il ne figure dans aucun annuaire mais apparaît sur toutes les cartes. Paris est dedans, la banlieue dehors. A la fois périphérique interne et externe, il incarne une double fontière. Infrastructure autoroutière, la Ville de Paris le considère comme un simple boulevard. Plus qu’une rue, il s’agit d’un territoire. 

Sur Saint Mandé, le long du périphérique, un cimetière. Sur Montrouge, le mur antibruit revêt une allure peu esthétique. Sur Bagnolet, les routes se croisent mais le parking relais de dissuasion n’a pas fonctionné, il fallut attendre l’aménagement d’un centre commercial pour qu’il commença à se remplir. L’image, posée, est trompeuse. Le réalisateur cite alors Breton “Je cherche l’or du temps”.  Un hôtelier explique que le périphérique, invivable pour les habitants, est un atout pour l’économie : Paris a trois périphériques, Pékin six. 

Pensé en 1937, le périphérique fut inauguré en 1973. Les HBM ont ét construits beaucoup trop près de l’infrastructure alors qu’on la prévoyait déjà. Pétain estimait alors que les périphériques devaient séparer la ville des taudis. Porte de Bercy, des sdf y ont trouvé un refuge bien provisoire. Rue de la clôture Paris 19e, une caravane pour sans abri a été intégrée dans un des piliers du périph’, le bruit est assourdissant. La solitude aussi.

17 janvier 2011

De la qualité urbaine et paysagère

Publié par alias dans Aménagement & urba

Lors du congrès de l’Association des Maires de France, le Président de la République a orienté son allocution sur  l’excès des normes qui s’imposent aux collectivités territoriales, allant jusqu’à faire miroiter « plus aucune nouvelle norme » aux édiles locaux, tandis que le Président de l’AMF demande « plus de souplesse et de progressivité dans l’application des normes » tout en ne remettant pas en cause leur bien-fondé, mais en demandant des subsides de l’Etat lorsqu’il impose aux collectivités des coûts supplémentaires de son propre fait.

Le Président de la République s’en prit également au droit de l’urbanisme, appelant a contrario à un durcissement des règles. La réforme en cours du droit de l’urbanisme devrait ainsi conduire les collectivités à n’adopter qu’une seule règle concernant les alignements de façade, alors que jusqu’à présent, elles pouvaient opter dans leur PLU pour une implantation à l’alignement ou une implantation en retrait, sans toutefois choisir les deux options à la fois.

Les services instructeurs s’inquiètent de la nouvelle tournure que pourraient prendre ces nouvelles règles sclérosantes. La précédente réforme ayant raccourci les délais d’instruction, les orientations architecturales se jouent bien en amont du dépôt des permis et se concrétisent dans un rapport contractuel plutôt informel. La qualité urbaine ne se gère pas tant par des prescriptions, mais par la capacité que les élus locaux ont à emboîter les échelles.

La rigidité de ces nouvelles règles renvoie à l’image de l’urbaniste bétonneur, éloignée de celle du paysagiste pacifiste. Se préoccuper de l’intégration paysagère implique de prendre en compte un espace dynamique, le vécu du quotidien. Or, on assiste déjà à une banalisation des territoires, des entrées de ville et ce phénomène ne pourra qu’en sortir renforcé.

Les instructeurs se demandent également comment concilier image passéiste et innovation, le pastiche néoprovincial au modèle cubique en bois avec toiture végétalisée : n’existe-t-il pas d’autres architectures contemporaines contextuelles ? Les lotissements pavillonnaires, trop souvent non réversibles, sont voués à disparaître. Les logements sociaux, placés sous maîtrise d’ouvrage des institutions, seraient plus propices à l’innovation, mais cette architecture n’est-elle pas imposée à leurs locataires ? Quid de l’intégration des TIC dans l’espace public ?

Les grandes structures paysagères sont habitées de pentes, d’ouvertures visuelles et lignes de fuite, de trames vertes et bleues, de fronts bâtis, d’éléments insolites et repères. A partir de la trame foncière pré-existante, le paysagiste cherche la limite de l’urbanisation, tout en sachant que les territoires périurbains, en mutation, sont aussi les plus intéressants à retravailler

17 janvier 2011

L’après ville des flux selon Olivier Mongin

Publié par alias dans Aménagement & urba

Selon Olivier Mongin dans « La condition urbaine », de nos jours, les flux l’emportent sur les lieux, si bien que l’avènement d’une civilisation en réseau pourrait bien avoir raison des valeurs urbaines. Des chercheurs évoquent ainsi l’après-ville, l’urbain généralisé.

L’accélération du mouvement d’urbanisation, la croissance des villes asiatiques, africaines ou sud-américaines est proprement inimaginable et la ville classique, avec un centre et une périphérie, disparaît au profit d’une monde de réseaux, de connections, de multipolarité.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à l’illimité, du fait de la démographie mais aussi du virtuel. La ville globale, branchée sur le monde, est celle qui réussit cette mutation.

Pour autant, la France est restée sur cette vision traditionnelle du centre et de la périphérie.  Cela tient de notre culture politique centralisatrice. L’urbain (grands ensembles, politiques de la ville, projet Grand Paris) n’a jamais été que le prolongement de l’Etat. Malgré la décentralisation, l’Etat continue d’imposer sa vision.

Or, la multipolarité et la mondialisation supposent un monde horizontal, alors que l’Etat est vertical, expliquera Olivier Mongin. 

Et tandis que l’urbanisme suppose une agglomération des savoirs, nous avons affaire à des starchitectes ; le néolibéralisme, contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas le tout marché, c’est l’Etat qui se met au service du marché.

La puissance publique met en place le système de la ville globale, lequel consiste à interconnecter certaines villes en réseau, sans se préoccuper de leur environnement proche ni des autres villes.

Le virtuel multiplie les possibles mais il entraîne également une dépréciation de l’espace proche, tandis que nous avons tous besoin d’une inscription physique.

A la logique « centre-périphérie », Julien Gracq dans « La forme d’une ville » lui opposa une « systole-diastole » (contraction-dilatation) : les modernes considèrent en effet les limites comme étant poreuses.

Si les flux sont plus forts que les lieux, il faut faire des lieux qui résistent aux flux tels que des places publiques. 

Penser la culture urbaine implique alors la prise en compte des rythmes et des strates qui font l’expérience urbaine : le parcours résidentiel, l’espace public et l’expérience scénique.

Portzamparc dira qu’une ville c’est de la durée, ou dit autrement, l’urbanisme reviendrait à fabriquer du temps dans l’espace.

18 janvier 2010

La maison des associations du quartier latin

Publié par alias dans Aménagement & urba

Après de belles années, la fermeture de la Maison pour Tous (1909-1978) située au 74-76 rue Mouffetard laissa les habitants et associatifs du 5e dénudés d’espace de convivialité.

Bien connue des habitants, la « Mouffe », Maison pour Tous de la rue Mouffetard située sur l’emplacement de l’actuelle bibliothèque municipale, fut l’ancêtre des Maisons des Jeunes et de la Culture. Ce haut lieu culturel et social dédié aux mouvements de jeunesse et d’éducation populaires prend ses racines dans l’histoire du Quartier Latin. Les conditions de sa fermeture puis de sa démolition sous Jean Tiberi illustrent certaines pratiques politiques. Depuis lors et à défaut d’obtenir la feue maison de quartier, les habitants du 5e attendent patiemment leur maison des associations.

Un premier geste fut lancé le 31 janvier 2008, lorsque le Maire de Paris inaugura la Maison des associations dans des murs « précaires » du 5e arrondissement. Située au 7 square Adanson, celle-ci comprend une salle de réunion permettant d’accueillir seulement 20 personnes. Sa petite taille nous laissant sur notre faim, l’essentiel reste cependant à venir : La maison des associations tant attendue verra le jour au 25 rue Linné/4-6 rue des Arènes bien qu’en réalité, celle-ci n’y était initialement pas prévue.

Petit retour sur ce projet en gestation : En 2000, la DPJEV (direction des parcs et jardins et des espaces verts de la Ville de Paris) envisageait d’héberger la maison des oiseaux dans les anciens locaux du Service Municipal des Eaux et Egouts. Ce projet prévoyait une galerie au 25 rue Linné consacrée à des expositions et à l’accueil du public, l’aménagement de locaux techniques et de réunions au 4 rue des Arènes ainsi que dans les contreforts du réservoir Capitan, et la réhabilitation d’une vieille maison sur la terrasse du square Capitan.

Mais la galerie n’a pu se faire car il s’est avéré que la première entreprise qui avait répondu à l’appel d’offre lancé par Jean Tibéri en août 1999 faisait l’objet d’une procédure pour “travail dissimulé par dissimulation d’activité et dissimulation d’emploi salarié “ ! Cela a contraint la nouvelle municipalité à choisir un autre prestataire, ce qui généra du retard et un surcoût. En conséquence, afin de ne pas trop sortir de l’enveloppe initialement allouée, il a été décidé de supprimer le projet de galerie de la maison des Oiseaux. Le chantier fut interrompu en septembre 2003 et le projet de la DPJEV fut réduit.

Le comble dans cette histoire est que Jean Tibéri se soit opposé le 4 décembre 2003 au projet de délibération de l’actuelle mandature en invoquant un détournement du projet initial. Mais si détournement il y a eu, ce fait est imputable à la mauvaise gestion du Maire du 5e arrondissement et à ses entreprises peu scrupuleuses.

Les permis concernant la future maison des associations, bientôt domiciliée au 25 rue Linné/4-6 rue des Arènes, furent enregistrés le 29 mai 2007 par l’architecte-voyer Ioannis Valougeorgis de la Direction de l’urbanisme, après un avis favorable accordé le 10 janvier 2007 par Jean Marc Blanchecotte, chef des Architectes des Bâtiments de France. Le maître d’ouvrage est la Section locale d’architecture et le maître d’œuvre, l’architecte DPLG Henri Gueydan de l’agence Ciel Rouge Création 22 rue des Taillandiers Paris 11e.

Le projet porte sur 426,6m2 SHON et prévoit une capacité d’accueil de 87 personnes et 6 agents, soit une capacité totale de 91 personnes. Issu de la transformation de l’ancien réservoir Saint Victor à ciel ouvert datant de 1936, cet ensemble bâti accueillait donc l’ancien Service Municipal des Eaux et Egouts de la Ville.

Les permis portent sur la démolition d’un édicule d’ascenseur, la création de trois lanterneaux en toitures terrasses, la démolition de la verrière côté rue Linné, l’ouverture de la galerie sur le jardin Capitan et un curetage ponctuel.

Le plan architectural est un peu complexe à la lecture, il comprend un pavillon côté rue des Arènes et trois galeries : La galerie située au dessus du passage Linné a été construite au début des années 2000 lors du projet de création de la maison des oiseaux. Elle est légèrement surélevée de 1,6 mètres, ce qui fait qu’elle ne constituera pas l’entrée principale de la maison des associations. Les galeries principales et secondaires proviennent de la transformation du réservoir Saint Victor en 1936.

La date de construction du pavillon, lequel servait précédemment de logements aux employés des égoûts et dont l’entrée se fait au 4 rue des Arènes, est inconnue mais s’agissant d’une architecture caractéristique des constructions de l’entre deux guerres, on peut l’estimer contemporaine à la transformation du réservoir Saint Victor.

18 janvier 2010

Des tours amiantées : un non-lieu ?

Publié par alias dans Aménagement & urba

Retour sur un parti architectural raté et sur le choix de cet urbanisme hors sol : Un 14 juillet 1996, sur fond de scandale de l’amiante, le président Chirac annonça à la télévision : “il n’y aura plus d’étudiants à Jussieu avant la fin de l’année“.

Cette annonce fit suite à l’activisme de Michel Parigot responsable du Comité anti-amiante de Jussieu qui déclara en 1994 : « Nous avons été confrontés au Comité Permanent Amiante très rapidement et l’existence de ce truc m’a sidéré ; quand on téléphonait au ministère de la santé, on tombait sur quelqu’un de ce comité qui nous répondait : « Il y a plus de risques sur le périphérique que dans votre université ». Nous avons très vite compris que cette structure n’avait réussi à fonctionner aussi longtemps que parce qu’elle n’avait pas été dénoncée publiquement. C’est le genre de choses qui ne supportent pas la lumière. ».

Le 19 octobre 1996, le Professeur Claude Allègre continua cependant à publier une défense du lobby de l’amiante et qualifia l’affaire de Jussieu de « phénomène de psychose collective », avant de devenir…Ministre de l’Education nationale.

L’avenir donnera cependant raison au Comité anti-amiante.

Si l’idée de déplacer les 50000 étudiants fut vite abandonnée par les pouvoirs publics, il est décidé que les travaux de désamiantage devront être lancés sans plus attendre. L’Etat a donc conclu des marchés sans mise en concurrence en invoquant le caractère d’ »urgence impérieuse » qui permettait de s’abstraire des contraintes du Code des Marchés Publics.

Le pilotage des travaux impliquait une pluralité d’acteurs : le Ministère de l’Education nationale, les universités Paris VI et Paris VII, le Rectorat de Paris… C’est pourquoi la création de l’Etablissement Public du Campus de Jussieu (ECPJ) décidée en 1997 avait pour finalité d’unifier le pilotage.

Mais l’ECPJ ne disposait aucunement des moyens d’imposer ses arbitrages aux multiples intervenants. Comme aucune planification d’ensemble n’avait été sérieusement considérée, ces marchés ont bien sûr été régulièrement renégociés à grand frais. La prise en compte tardive de la nécessité réglementaire de mettre tout le campus aux normes de sécurité incendie n’a rien arrangé.

Cela s’est traduit par une série de décisions contradictoires et un dépassement financier que le Ministère des Finances évalua à 500 millions d’euros. Le rapport de la Cour des Comptes de 2004 rend notamment compte du long feuilleton du désamiantage du campus de Jussieu et pose la question “des universités jalouses d’une autonomie qu’elles n’ont pas toujours les moyens d’assumer pleinement”.

Les travaux de désamiantage du campus de Jussieu ayant pris du retard, la préfecture de Paris a dû délivrer en décembre 2007 un second arrêté de prorogation portant la date limite pour la fin du désamiantage de Jussieu au 31 décembre 2010.

Les crédits du plan de relance (mesure 14) devraient permettre à l’établissement public du campus de Jussieu de respecter cette échéance en accélérant le désamiantage du secteur est.

En 2010, la justice accepta d’indemniser pour la première fois des salariés non (encore) malades, pour le stress permanent que représente leur exposition passée à l’amiante ; les salariés étant amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse (préjudice d’anxiété).

Pour autant, faut-il renoncer aux tours ou immeubles de grande hauteur (IGH), alors que nous subissons les conséquences d’une non prise en compte des besoins en logements, notamment sociaux, cumulée à une rareté du foncier disponible ? 

Lors du marché international des professionnels de l’immobilier (MIPI) de 2007, de nombreuses maquettes de futurs gratte-ciel furent présentées : la tour de la fédération de Moscou, la tour Zlota de Varsovie, la tour de la liberté de New York, les tours Renzo piano et London tower bridge de Londres, les tours Granite, Generali et Unibail de la Défense…

Mais à la différence de la situation d’après guerre, les tours actuelles sont programmées pour soutenir les pôles de compétitivité. A Francfort, reconnue capitale européenne des gratte-ciel, l’agence d’urbanisme Jourdan & Miller admet que « l’intégration des logements dans les tours du centre ville, si elle participe à la pluralité des fonctions recherchée, ne concourt pas à la mixité sociale ; le prix élevé de l’immobilier dans les tours ne le permettrait pas « .

Pour créer davantage de logements sociaux, d’autres solutions existent comme la mobilisation des terrains mal utilisés, l’application du droit de réquisition d’immeubles de bureaux vides voués à la spéculation, la préemption des quelques logements loi 1948 restant…

Aux barres de Le Corbusier créées pour endiguer la crise du logement, s’est substitué le modèle de tours « Manhattan » coûteuses (2000 euros/m2 autour de 50 m, 3000 euros/m2 au delà de 150 m, 6500 euros/m2 au delà de 200 m, selon l’IAURIF)  et énergivores (minimum atteignable : 120kWh/m2/an, loin du 50 kWh/m2/an du Grenelle ou des 15kWh/m2/an des Passiv Haus), aux services de grands groupes internationaux toujours plus performants et prestigieux.

La Green tower ne serait pas réaliste car trop coûteuse m’a confié l’un  des architectes travaillant sur ce projet, le greenwashing ne serait donc pas au point. Fi du plan climat ! Ces tours sont destinées à faire fructifier les marchés financiers et touristiques très haut de gamme. Certains argueront que compétitivité rime avec solidarité, le discours est fallacieux. D’autres tenteront d’introduire de la mixité, c’est déjà mieux. 

Pour montrer qu’ils sont entrés dans l’ère de la globalisation, des élus proposent une nouvelle et froide architecture allant jusqu’à 200 mètres de haut sur plusieurs sites parisiens situés au pied d’échangeurs routiers. Certes, les territoires sont difficiles.

Mais ne voit-on pas dans ces skylines, des escalades de façade, des sauts en parachute, des courses d’escaliers indéfinies, des paysages fascinant d’inhumanité, l’absence d’un véritable réseau viaire, l’apparition de gated communities à la verticale, l’établissement d’une nouvelle frontière territoriale entre Paris et les communes voisines.

Le Conseil de Paris a ainsi prévu de construire des tours sur plusieurs sites : porte de Versailles (150m), quartier Masséna-Bruneseau (150-200m), secteur Bercy-Charenton-quai d’Ivry (200m)… Souhaitons a minima, que les élus veilleront à intégrer la dimension « écosystème », à défaut de vouloir construire des éco-quartiers et des bâtiments à faible consommation énergétique.

Les spéculateurs financeraient certes la couverture des voies ferroviaires….mais aussi le lifting de leurs autoroutes urbaines et leur droit à polluer en contrepartie. Les territoires désespérés auront ainsi leurs cataplasmes, faute d’un investissement collectif et d’une planification suffisante.

Si certaines personnes disent très bien se porter dans les tours, Thierry Paquot rappelle qu’à ce jour, aucune étude psycho-sociologique n’a été menée sur le comportement des usagers d’une tour (circulation sanguine, vertige, sentiment d’oppression, peur du vide, sinusites, céphalées) ni sur la dépendance des habitants envers tout un appareillage technologique (air conditionné, ascenseur, réseau électrique…).

Aux difficultés éventuelles éprouvées par les usagers, les tours gênent également les riverains par leurs ombres portées et leur trop forte luminosité. A l’heure des économies d’énergie, ce gaspillage énergétique et cette pollution lumineuse ne sont pas acceptables. Les plantes et les animaux, tout comme les hommes, ont un besoin indispensable du cycle jour/nuit pour leurs métabolismes.

Or, avec une urbanisation mal pensée, des projets de construction d’immeubles de grande hauteur, ainsi que l’évolution des modes de vie consumériste, la lumière finit par envahir tous les biotopes. La lumière visible de loin sidère ou désoriente les oiseaux migrateurs. Les projets de tours auront pour effet de briser les corridors biologiques.

18 janvier 2010

La petite histoire de l’institut physique du Globe

Publié par alias dans Aménagement & urba

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Créé dans les années 20, l’Institut rattaché à l’Université Paris VI Pierre et Marie Curie, s’installa sur le campus de Jussieu à la fin des années 60 avant d’être déplacé vers la fin des années 90 sur l’îlot Cuvier.

Or en 1999, Claude Allègre décida de procéder à un nouveau transfert de son personnel, soit 200 enseignants-chercheurs, de l’îlot Cuvier vers des locaux sur Jussieu, toujours amiantés, afin d’embellir son Institut, pourtant régulièrement rénové.

Cette décision eut pour effet de retarder les travaux de désamiantage de Jussieu, tout en exposant de surcroît les enseignants. Le projet fut validé et  rendu public le 23 juillet 2004 par Maurice Quénet, Recteur de l’Académie de Paris.

Me voici partie à la rencontre de l’Association des résidents de l’îlot Cuvier (ARIC, 80 adhérents).

Au-delà d’un problème grave de santé publique, c’est bien d’un déficit de débat public dont il s’agit : en effet, au scandale de l’amiante se cumule un manque total de transparence sur le traitement des déchets radioactifs. L’Association voulut rencontrer l’architecte Yves Lion, lequel s’était montré ouvert au dialogue, mais c’était sans compter sur le véto mis par l’Etablissement Public du Campus de Jussieu. Des réunions furent organisées avec l’EPCJ, mais celui-ci esquiva les questions des habitants. Dépités, les riverains eurent le sentiment de vivre le combat du pot de terre contre le pot de fer ; la raison d’Etat passant outre toute considération.

Le terrain est situé en partie au dessus d’anciennes carrières de calcaire grossier exploitées en souterrain et présumées partiellement remblayées (recouvrement de 6,40 mètres ; hauteur de la première carrière de 3,20 mètres). Des travaux de consolidation par piliers maçonnés en partie avaient été réalisés antérieurement. L’architecte des services des carrières émit un avis favorable le 15 février 2005, assorti de recommandations concernant des travaux de confortation du sous-sol sous la partie sous minée de la propriété, en excluant ses abords, ce que déplorent les riverains. En effet, les risques de désordres occasionnés lors de l’enfoncement de ces énormes pieux de béton armé, inquiètent fortement les riverains, de part la présence de fontis et du passage de la Bièvre à proximité, rue Linné. De plus, les riverains restent persuadés que les murs abattus étaient des murs mitoyens, lesquels auraient été derniers fragilisés par les travaux. Au 14 de la rue Cuvier, une cave se serait effondrée. Les habitans demandèrent des contrôles réguliers par forage aux abords du chantier.

La confiance entre les parties fut mise à mal. Il semblerait d’après les riverains que l’EPCJ ait commencé les travaux de démolition avant que l’expert devant s’assurer du bon déroulement des opérations n’ait été mandaté par ordonnancement du tribunal administratif. Cela semble bien paradoxal lorsque l’on sait que les activités de l’Institut Physique du Globe, ancienne Faculté des Sciences, consistent à observer et mesurer les dérives des continents par tous les moyens de la physique, de la chimie et de la géologie. Outre sa mission de recherche, l’IPGP surveille à partir du 5e arrondissement, la sismicité des territoires. L’ARIC a également adressé sa pétition à la commission d’enquête publique du Plan Local d’Urbanisme, laquelle a saisi les services de la Direction de l’Urbanisme de la Ville de Paris. Les services répondirent que ce projet universitaire relevait de la compétence de l’Etat. La Commission d’enquête publique du PLU a cependant rendu l’avis suivant : « La réponse de la Ville ne satisfait pas la commission. La compétence dont il est question est celle de la planification urbaine qui est bien exercée par elle. S’il se confirme que l’îlot est «sensible», il convient de  prendre les dispositions qui s’imposent. » En attendant, les riverains sont restés sans nouvelles.

Sur le plan patrimonial, le Service départemental d’architecture et du patrimoine (SDAP) a émis un avis favorable les 22 février et 23 juin 2005 à la demande de permis déposée, en rappelant que le projet se trouve dans le champ de visibilité d’un monument historique et dans le site inscrit de Paris. Tandis que l’IPGP se situe à quelques mètres des Arènes de Lutèce, en plein cœur du Quartier Latin, aucune recommandation n’a cependant été émise par Bruno Foucray, Conservateur régional de l’archéologie, lequel s’est contenté d’accusé réception du permis. Ainsi « considérant que le conservateur régional de l’archéologie d’Ile-de-France a accusé réception du dossier en date du 11 février 2005 ; qu’il n’a édicté aucune prescription à ce jour ; et qu’en conséquence le projet ne donne pas lieu à prescription archéologique, en application de l’article 18 du décret n° 2004-490 du 3 juin 2004. » Le service instructeur de la Préfecture de Paris a toutefois rappelé au bénéficiaire du permis, l’article L531-14 du code du patrimoine donnant obligation de déclarer immédiatement au Maire de la Commune, les éventuelles découvertes de vestiges archéologiques. Celles-ci  pourraient bien ralentir le chantier et le désamiantage de Jussieu, faute d’un phasage adéquat.

Le sous-sol masque en fait une toute autre réalité. Le 8 novembre 2005, le Préfet de Paris avait saisi Directeur de l’EPCJ, afin qu’il procède à la recherche de matériaux contenant de l’amiante. Mais ce fut l’ARIC qui alerta les pouvoirs publics par courrier du 12 juin 2005, des possibles risques de contamination radioactive du terrain, lequel accueillait le laboratoire de Marie Curie. Le Préfet de Paris saisit en conséquence la Direction régional de l’Industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE). Une réunion sur site fut organisée le 8 septembre 2005 entre l’Etablissement public du campus de Jussieu et la Direction de sûreté nucléaire et de radioprotection (DSNR-DRIRE). La DSNR émis un avis favorable le 15 septembre 2005 en précisant toutefois que « seul le pavillon Curie est concerné par une contamination résiduelle au radium 226 et ses descendants, dus aux travaux de Marie Curie entre 1903 et 1914. Dans ce bâtiment, les 6 pièces présentent des traces de contamination surfacique, mais pas de contamination d’ambiance. Quelques traces de contamination ont également été relevées dans une canalisation du sous-sol et sur des pavés extérieurs. ».

En conséquence, les services de l’Etat recommandèrent à l’EPCJ de s’adresser à la DGSNR afin d’assainir les locaux destinés à recevoir du personnel ainsi qu’auprès de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) afin de faire procéder à la dépose par une société spécialisée de la canalisation des eaux usées contaminées et situées en sous sol; et à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) afin de faire effectuer des mesures de frottis des émetteurs de rayonnement alpha en différentes parties des salles avant travaux et définir les mesures d’intervention en radioprotection des intervenants lors du chantier de démolition des sols et des plinthes des murs. L’évacuation des déchets devant s’effectuer suivants des filières dûment autorisées. L’EPCJ doit procéder à l’enlèvement des pavés représentants une activité radiologique résiduelle et situés à l’extérieur du bâtiment procéder au contrôle après travaux des concentrations de radon pour les pièces qui seront ouvertes au public (cf arrêté du 22 juillet 2004)  et instaurer des servitudes sur le Pavillon Curie afin de conserver trace de l’histoire radiologique du site.

Le Pavillon Curie, actuellement préservé sur le site telle une verrue urbaine, est destiné à accueillir la salle du Conseil de l’Institut Physique du Globe. Un ancien Adjoint de Jean Tiberi suggérait à ce propos lors du Conseil de Quartier St Victor du 1er avril 2004 d’en faire « un petit Musée public, un pôle d’attraction supplémentaire du quartier ». Ainsi, l’UMP vous offre-t-elle allègrement un petit coup de radioactivité !

18 janvier 2010

Entre nature et culture : le paysage

Publié par alias dans Aménagement & urba

La personnalité du géographe Elisée Reclus a profondément marqué de nombreux urbanistes. Synthétiseur et vulgarisateur hors pair, celui-ci inventa l’écologie politique au sens où il intégra la dimension humaine et l’économie de la nature dans la géographie. Elisée Reclus n’a pas cherché à maîtriser la nature mais les déséquilibres. Son héritage est devenu plus prégnant encore, lorsque, confrontés en 1945 à la nouvelle ère atomique, les scientifiques se rendirent compte que l’angoisse ne viendrait plus de la faillite de la science mais de ses réussites. Du contrôle de la nature au contrôle de l’individu, la question contemporaine consiste à savoir comment placer le curseur entre espace naturel libre et intervention humaine.

Au 19e siècle, les jardins répondaient à une préoccupation des hygiénistes, souvent très éloignée de la nature. Ils demeurent une représentation symbolique du contrôle que les hommes exercent sur elle. Aujourd’hui, le jardin des Plantes est tel un patchwork de parterres qui se cherche : serre mexicaine, jardin d’hiver, jardin d’iris et vivaces, roseraie avec ateliers de formation sur la taille, jardinage au sein du potager pédagogique encadré, jardin écologique alpin, jardin de l’école de botanique. Dans le jardin de l’école botanique se tient parfois un majestueux héron élancé, silencieux et solitaire, il vient de temps à autres se percher en surplomb à la cime d’un grand pin. Dans ce lieu de prédilection se dégage une douce atmosphère revigorante, un peu comme en Toscane, sans doute due à la présence de la Bièvre.

Le citadin écolo semble davantage apprécier le paysage à la nature et qu’est-ce que la nature en soi, sans humanité, si ce n’est un objet neutre, sans projection, sans laideur ni beauté, un objet anesthétique. Le regard artistique que porte l’homme sur la nature lui donne une consistance.  En effet, l’art constitue au plus haut point cette prise de possession de la nature par la culture. Prenez Proust, ne disait-il pas que le monde a été créé aussi souvent qu’un artiste original est survenu, ou encore Oscar Wilde, pour qui la vie imite l’art, beaucoup plus que l’art n’imite la nature. Ce n’est donc ni en architecte ni en jardinier mais en poète et en peintre que se composera le paysage à l’envie.

Si les artistes de l’Italie septentrionale furent les premiers à individualiser les décors de paysage, les Ecoles du Nord (Flandres et Pays Bas) représentèrent l’animal ou la plante comme étant inséparable de leur environnement naturel. La peinture du paysage se constitua progressivement en genre indépendant. Le siècle des lumières ajouta de nouveaux paysages tels que la montagne (notamment des Alpes) et la mer, jouxtant au beau (plaisant) les catégories du sublime (terrifiant) et du pittoresque. À l’époque romantique, le paysage est source d’émotions et d’expériences subjectives. Plus tard, le peintre découvrira ses limites et cédera place au pouvoir de l’écriture, puis à celui de la photographie et du film donnant naissance à un paysage mille-feuilles, plus dynamique et multi-sensoriel.

Kant dans La crique de la faculté de juger définissait ainsi le sublime « nous nommons volontiers ces objets sublimes, parce qu’ils élèvent les forces de l’âme au-dessus de l’habituelle moyenne et nous font découvrir en nous un pouvoir de résistance d’un tout autre genre, qui nous donne le courage de nous mesurer avec l’apparente toute-puissance de la nature. ». Notre siècle idéalisera d’autres formes paysagères comme la forêt, le marais, la friche, le désert…jusqu’à invoquer la mort du paysage. La crise actuelle du paysage s’explique par une détérioration in situ et une déréliction in visu.

In situ, le constat vient du fait que l’homme a effectivement détérioré, sinon détruit, les paysages traditionnels. Les agriculteurs ont de plus en plus de difficulté à entretenir le territoire rural. Une urbanisation mal contrôlée grignote un territoire saturé d’autoroutes et de panneaux de publicitaires, laissant à l’abandon des banlieues sinistrées et mal desservies, subissant les effets du mitage et de la rurbanisation sauvage. In visu, l’homme serait devant ville et campagne confronté au même dénuement perceptif avec une prédilection insistante pour la décrépitude (terrains vagues, cités sinistrées…), l’entraînant dans des voyages emprunts d’ennui, de déception ou d’hostilité.

Ainsi le tourisme contemporain vend une terre promise, du prêt à consommé, un paysage assuré. Pour plus de sûreté, on le fabrique et l’isole sur place (le club) et il y sera conduit, s’il le désire, en car climatisé. Si le paysage est le produit d’une opération perceptive, c’est-à-dire d’une détermination socioculturelle, l’histoire de l’art montre que les Français restent attachés à un environnement naturel, à leur cadre de vie. Peut-on considérer que certaines personnes, notamment l’auteur du « Court traité du paysage » puisse être victime du « complexe de la balafre  », lorsqu’elles en arrivent à sublimer l’autoroute ou la tour en tant que beauté terrifiante ?

Entre anarchie et despotisme, le Land Art est un art paysager qui me plaît davantage.

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