Des projets intercommunaux consensuels et apolitiques ?
Si l’on s’en réfère à l’article de Gilles Pinson « le projet urbain comme instrument d’action publique », le projet serait un moyen concerté, consensuel et partagé pour arriver à ses fins, la méthode primerait sur la finalité. A mon avis, il se fourvoie dans ses conclusions.
Le projet serait un moyen de mobilisation sociale partant de l’existant et critique à l’égard des savoirs experts et sectoriels. Il serait le fruit d’un processus avec une large place laissée à l’adaptation et l’innovation, les effets collatéraux pouvant devenir centraux.
Selon Gilles Pinson, le leadership est tiraillé entre le besoin d’interaction et le volontarisme, entre la gestion du processus et la stratégie, la construction du consensus et la capacité de contrôle, la gestion du court terme à la vision à long terme, le pragmatisme et l’anticipation, l’indétermination et l’intension, la difficulté d’imputation et la pronominalisation…
En effet, il arrive que l’intention affichée au départ (A) entre en conflit avec la nécessité d’intégrer l’incertitude (B). Les avis et modifications apportés peuvent parfois faire perdre de vue les objectifs définis initialement.
Le projet est alors à la dérive. L’action publique s’entretient elle-même, pourvue que l’annonce politique soit respectée et que l’équipement même inopérant puisse être inauguré.
Le fait est qu’il est relativement difficile pour un homme politique de renoncer à un projet une fois que le processus de concertation a été enclenché, à moins de jouer la carte de la construction du consensus (B), du pragmatisme (B) ou de la difficulté d’imputation (B).
On pourrait penser que dans les institutions de second niveau, le pragmatisme l’emporte sur le leadership personnel, à moins que le leadership (A) ne s’accapare la gestion du processus (B), le pragmatisme (B) et l’innovation (B), en discréditant ses détracteurs (B) s’ils se prenaient à revendiquer une volonté de contrôle (A), de stratégie (A) et de vision à long terme (A).
Le leadership (A) en s’accaparant les attributs du collectif (B) pense maîtriser l’arène politique, sauf qu’à trop isoler (A) les acteurs les uns des autres, il fragilise le consensus (B).
S’il venait l’envie aux acteurs de se mettre hors jeu, l’institution s’entretiendrait d’elle-même un temps, puis faute d’un portage collectif, le navire coulerait. Afin d’éviter un tel scénario, le leadership peut s’employer à combler les failles en rétribuant certains acteurs au coup par coup dans une vision à court terme. Le paquebot voguerait, fragilisé, vaille que vaille.
L’attention portée aux identités des acteurs reste certes d’un exercice difficile, d’autant que leur comportement n’est pas toujours prévisible. Trop d’oppositions aux projets ponctuels (autorisations de programmes) peuvent en ainsi mettre en péril le méta projet (plan de mandat).
Selon Gilles Pinson, Bernard Haumont définissait la gestion politique du projet comme l’organisation d’une dialectique entre les « espaces d’expériences » (B) et les « horizons d’attentes » (A). Or, ne pas reconnaître aux acteurs leurs espaces d’expériences revient à porter atteinte à leurs identités, ceci afin de pouvoir saper leurs horizons d’attentes.
La stratégie d’isolement (A) couplée à l’invocation pragmatique (B), cet artifice qui permet de masquer la politisation et la volonté du leadership (A), pourrait bien servir à court terme (B) la pronominalisation (A), mais ternir le méta projet, cet horizon censé offrir un souffle à l’action.
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Lascoumes P. et Le Galès P., Gouverner par les instruments, Science po presses, 2010.