De la régulation des loyers du secteur privé
La revue Esprit intitula son numéro de janvier 2012 « Le logement au cœur de la crise ». Ce dossier aborde les enjeux liés à la construction, à la régulation du marché et à la lutte contre la ségrégation territoriale, tout en rappelant bien qu’aucune politique du logement n’est en mesure de se substituer efficacement à une politique des revenus et qu’il ne peut y avoir sortie de crise du logement sans une action volontaire de régulation des loyers du secteur privé.
La politique du logement serait pourtant devenue illisible aux dires de Vincent Renard, reprenant les propos d’Assar Lindbeck : « Il existe deux façons de détruire une ville, le bombardement ou le blocage des loyers. Pour limiter la hausse des prix et des loyers, il faut assurer avant tout une offre suffisante, il faut produire du logement ». On croirait entendre le Président du Grand Lyon mettant au défit la Ministre du logement de produire 400 000 logements/an au niveau national. Produire, sans doute, mais pour qui et comment ?
A Paris, 30 000 logements ont été financés entre 2001 et 2007, et la mandature 2008-2014 prévoit 40 000 autres logements en construction ou réhabilitation ; le Maire de Paris s’est engagé à financer 6000 logements sociaux en 2012 (3105 logements sociaux hors PLS financés par le Grand Lyon en 2011). Lorsque l’Etat met un euro dans les aides au logement, Paris Ville-Département en met quatre. Il n’en demeure pas moins qu’en 2009, du fait de la faible rotation des logements sociaux, de l’étroitesse du parc constructible disponible, de la spéculation foncière, le nombre de logements à attribuer sur Paris était de 5,5% inférieur aux taux des autres villes de France.
Dans la capitale, entre 1998 et 2008, les prix des appartements se sont accrus de 185% et selon l’observatoire des loyers de l’agglomération parisienne, les loyers ont augmenté de 50% en 10 ans, constate Pascale Dietrich-Ragon de l’INED. « Les jeunes ciblent les petits logements, souvent plus chers, et payent clairement le prix d’une absence de régulation des loyers » conforte Christophe Robert. Alors qu’il est question du blocage des loyers, François Meunier, professeur à l’ENSAE, estime que « ces mesures d’intervention directe sur le marché ont des effets néfastes à long terme, les incitations à entretenir le logement se réduisant. Pourtant, dans un contexte de verrouillage (spéculation sur la pierre…), elles ne seraient pas à court terme si inefficaces que cela. ».
De fait, 10 millions de personnes seraient touchées en France par la crise du logement selon la Fondation Abbé Pierre. Elle estime le déficit de logements entre 800 000 et un million. « Paris, comme Londres et d’autres capitales européennes, s’est définitivement inscrit dans des processus croisés de l’urbanisation globalisé : la gentrification avec la spéculation immobilière, le départ des classes moyennes vers le périurbain ou la banlieue lointaine et la relégation dans un parc de logements sociaux devenu insuffisant face à l’explosion de la demande sociale de relogement et à la montée des sans-abris » considère Kristian Feigelson, chercheur à l’EHESS.
La France recense 30 millions de logements. Sur la base d’une durée moyenne de vie de 75 ans, il faudra renouveler 400 000 logements par an (1,33%) pour maintenir le stock, or, la production en 2011 était inférieure à 300 000 logements. De plus, le pays est dans une logique de besoins importants, du fait de l’allongement de l’espérance de vie, mais également des divorces, du nombre grandissant de familles recomposées (T3), des éléments non suffisamment pris en compte. Le taux de logements vacants (6%) n’a jamais été aussi bas depuis un demi-siècle. Les acheteurs étrangers (surtout italiens) achètent et vendent autant de biens sur Paris depuis 2007 (jeu à somme nulle). Certes, la France compte 10% de résidences secondaires, sans doute insuffisamment taxées.
La Fondation Abbé Pierre insiste toutefois plus sur le constat qu’on dénombre en France 800 000 personnes en manque de logement que sur un manque réel de 800 000 logements. Ainsi, la France ne souffrirait pas d’une pénurie de logements mais d’une inadéquation de son offre par rapport à la demande.
L’Etat consacre une part de moins en moins importante de son budget, moins de 1% (2% du PIB), à aider les Français à se loger selon l’OFCE. Il préfère traditionnellement une intervention globale sur les revenus (RSA ou exonération d’impôts), laissant le soin aux personnes à bas revenus de se débrouiller sur le marché libre pour se loger. L’Etat userait ainsi d’un égalitarisme général plutôt que spécifique (cf James Tobin), ne craignant pas une sous-consommation du bien, selon François Meunier, Professeur à l’ENSAE.
Toutefois, l’Etat intervient de plus en plus, le montant des aides à la personne a crû de 40% et de 2,5 fois pour les aides à la pierre. La France fait partie des pays comparables où cette aide budgétaire au logement est la plus importante, mais aussi la plus dispersée : la moitié des locataires et 1/10 des propriétaires touchent une aide au logement. Et renforcer les assurances données aux locataires aboutit à augmenter encore les prix des loyers et donc de l’immobilier.
Actuellement, plus de 60% des ménages français ont, en termes de ressources, droit au logement social. Il s’agit d’un puit sans fond. Dans le parc social, parmi les 120 000 logements financés en 2010 par exemple, 40 000 sont des logements intermédiaires (PLS/I) qui sont de fait inaccessibles aux 1,2 millions de demandeurs de logements sociaux. Certains le déploreront. Or le fossé se creuse entre les loyers du social et ceux du privé, et seulement 16% des ménages français résident dans un logement social. Le pré-requis pour que le système soit juste est d’avoir un nombre important de logements sociaux et une continuité entre les différents marchés, qui favorise la fluidité des parcours résidentiels.
Force est de constater que les logements intermédiaires locatifs (PLS) détenus traditionnellement pour des raisons historiques et réglementaires par les investisseurs institutionnels sont en voie de disparition. Considérant le logement comme une nouvelle classe d’actifs peu rentables, ces derniers se sont désengagés au profit des immeubles de bureaux ou de centres commerciaux. Dans les années 2000, ces investisseurs institutionnels ont cédé aux fonds d’investissement les plus offrants, opportunistes ou marchands de biens, leurs actifs immobiliers achetés pendant la période d’euphorie immobilière (ex : l’américain Cargill investit massivement le quartier résidentiel Grolet-Carnot, selon Ingrid Nappi-Choulet, Professeur à l’ESSEC).
Le logement n’est en effet pas considéré comme un produit rentable, sauf dans le haut de gamme et le bas de gamme, si on loue des taudis. Le faible rendement s’explique par le fait que les loyers sont contraints par les revenus des ménages. La seule manière de faire vraiment des profits est donc de réaliser des plus-values en capital, explique Claude Taffin : « Pour encourager les institutionnels à investir dans le logement, il faut donc leur octroyer d’énormes avantages fiscaux ». Mais ne peut-on négocier des logements abordables lors de l’attribution de permis destinés aux bureaux, revoir l’économie des opérations d’aménagement, les modalités de financement ?
Les avantages fiscaux limités au seul volet locatif neuf sans contrepartie sociale ont eu un effet néfaste sur le prix du marché, étant faiblement en adéquation avec les besoins du marché (taille du bien, solvabilisation des occupants potentiels), même si l’investissement des ménages a permis de compenser le retrait des institutionnels, lesquels devront sans doute à l’avenir être remobilisés.
Les études montrent que les ménages locataires des dispositifs type Scellier, dispositif soutenu par le Présisdent du Grand Lyon, perçoivent un revenu médian imposable légèrement plus élevé que ceux du parc locatif non aidé et du parc locatif social. Il s’agissait d’une orientation politique centrée sur les individus qui se constituent un patrimoine plutôt qu’en direction des structures qui favorisent la solidarité nationale. Selon Bernard Coloos du FFB, le nombre de primo-accédants se situe à un niveau historiquement élevé (7 accédants sur 10, contre 1 sur 2 en 2000). Or, la hausse des prix observée serait loin d’être imputable à un manque, estime-t-il, mais trouverait son origine dans un accès plus facile au crédit.
La droite a alors promu le dogme du « tous propriétaires ». Or, constate Claude Taffin de la Banque mondiale, certains chercheurs sont allés jusqu’à établir un parallèle entre la montée du chômage structurel en Europe et l’augmentation de l’accès à la propriété, « c’est ce que l’on appelle la conjecture d’Oswald : rendre les gens propriétaires, c’est limiter leur mobilité, donc augmenter leur risque de chômage ou leur incapacité à reprendre un emploi quand ils l’ont perdu ». Avec 58% de propriétaires occupants, la France est assez proche de la moyenne européenne (66%), loin de la Roumanie (98%) ou de la Suisse (38%) ; et si les Pays anglo-saxons ont fait un dogme de la propriété, l’Allemagne et les Pays Bas valorisent quant à eux le locatif.
Les recherches menées par les Instituts d’urbanisme de Lyon et de Grenoble révèlent ainsi qu’accroître l’offre de logement dans une optique purement quantitative n’est pas suffisante en elle-même, si les élus ne tentent pas par ailleurs de réguler le marché immobilier, dont le marché foncier. Le manque de terrain à bâtir, la multiplication des recours, la complexité de la réglementation, les insuffisances du système fiscal sont parfois invoqués pour expliquer l’insuffisance de la production foncière.
Toutefois, l’espace urbain ne recouvre que 9% du territoire français (28% en Allemagne) et Paris (mais pas seulemnt) a bien su trouver plus de 20 hectares disponibles pour les Jeux olympiques. Chaque année, environ 215 000 hectares de terrains sont consommés pour l’activité tertiaire contre 55 000 à 70 000 hectares pour le logement, rappelle Bernard Coloos, directeur aux affaires économiques, financières et internationales de la FFB : « L’offre foncière disponible, déjà insuffisante au regard des besoins, est en outre consacrée majoritairement à la construction de locaux non résidentiels au détriment des logements. Pour ces segments de marché, professionnels et décideurs n’invoquent que rarement la pénurie foncière ».
Le problème viendrait de la libération du foncier et de la carence d’outils d’aménagement adaptés selon Vincent Renard, lequel déplore la rareté croissante des ZAC. Les bons exemples à suivre seraient les agglo de Grenoble, Nantes et Rennes. Thierry Debrand, chercheur à l’OFCE en conclut qu’il serait plus simple de capter réglementairement ou légalement les prix foncier et de rendre fiscalement très désavantageux de conserver des terrains non utiles à la collectivité que d’essayer de compenser l’envolée des prix par des suppléments de subventions publique. L’autre solution, moins optimiste, invoquée par François Meunier, professeur à l’ENSAE, consiste à déverrouiller les COS au profit financier des propriétaires en place, à la seule condition qu’ils rétrocèdent aux nouveaux venus l’extension foncière ainsi créée.
François Meunier préconise aussi de rehausser l’attractivité des sites relégués, et non des centres villes, en se servant de l’investissent public comme effet levier. Fort des 250 M d’euros investis dans le Musée du Quai Branly, l’Etat aurait ainsi permis aux propriétaires huppés du 7e arrondissement de faire-valoir une belle plus-value de 10%, soit environ 60 M d’euros. Idem, la couverture de la RN13 à Neuilly financé à hauteur d’1 Mds d’euros rapporterait 250 M à 400 M d’euros aux propriétaires limitrophes. La localisation de l’investissement public devrait donc faire l’objet d’un débat politique plus adapté.
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