L’urbanisme de secteurs : l’approche routière de la ville
Selon David Mangin, dans son ouvrage « La ville franchisée », l’urbanisme de secteurs introduit une forte dissociation du bâti et de la voirie (p.39).
Conçu par le Corbusier (modèle des V7), il s’inspire de la Charte d’Athènes (1928-1944) ainsi que de Cerdà avec son plan de Barcelone (1854) et sera repris par Buchanan (1963). La dynamique urbaine est entièrement liée à la dynamique routière.
Les concepts de base de l’urbanisme du XXe, aussi chez bien chez Le Corbusier que chez Buchanan, dérivent tous de la peur de la congestion due au trafic automobile (p.333). Comme le dit Marc Wiel, « cette hantise de la congestion nous conduit à construire le futur avec nos peurs ». Ce maillage progressif du territoire a des conséquences décisives sur les formes de la croissance urbaine.
Dans les années 60, pour soulager les voies pénétrantes des flux de transit qui engorgent les centres-villes, des itinéraires de contournement sont construits, rendant du même coup les zones périurbaines plus accessibles. Ces itinéraires accompagnent la création en périphérie et parfois en rase campagne des premières grandes enclaves publiques : grands ensembles, cités administratives, hôpitaux régionaux, campus universitaires. Vient se greffer la grande distribution dans les années 70, au plus près des flux et des échangeurs.
Plus récemment, les rocades de deuxième couronne ont été tracées de manière à passer plus au large afin d’éviter les conflits avec les résidents. De ce fait, elles produisent des effets non plus tellement sur la croissance interne des villes, mais sur ce qu’on pourrait appeler la croissance externe ou diffuse (conséquence du futur CEL ?). Dans la région urbaine lyonnaise « des pans entiers de l’agglomération se découplent du centre pour opérer des recompositions avec des villes voisines » suivant alors un modèle radioconcentrique complexe.
Seulement, les infrastructures routières pèsent un poids budgétaire considérable : Une 2×2 voies coûte environ 4 à 5 millions d’euros par kilomètre en rase campagne, 7, 5 millions d’euros en agglomération avec échangeur et protection phonique ponctuelle, et dix fois plus en cas de couverture (publication 2004). Ainsi en l’an 2000, une rocade de 20 km pour une ville moyenne peut dépasser 150 millions d’euros.
Les investissements sont en principe planifiés à trente ans sur le SCOT, puis ils sont précisés sur 10 ans, le temps de réalisation pouvant atteindre 5 à 7 ans. Dans le cas des territoires déjà urbanisés et faisant l’objet d’un financement complexe, les délais de procédures s’allongent et se complexifie : la panne de la rocade ouest de Lyon en est une illustration (p.93).
Le vieux rêve saint-simonien de circulation optimale des personnes et des biens continue de se réaliser (p.94). Chaque territoire veut bénéficier d’une accessibilité au réseau au moins égale à celle de son voisin. « Or, cette recherche d’équité, ou de continuité territoriale, tend à banaliser largement les modes de développement et donc à terme les territoires » (p.99).
L’une des principales difficultés rencontrées dans la formation des périphéries vient de l’incapacité à produire des règles visuelles simples, adaptables à des situations spécifiques à partir du site, du paysage, de la topographie ou d’une contrainte technique majeure. Il faudrait établir un rapport entre infrastructures et formes urbaines qui susciteraient moins de fragmentations et d’enclavements, qui rendrait également moins dépendants de l’automobile de nombreuses activités liées à l’habitat (p.103).
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Les hypermarchés ont précédé l’étalement résidentiel. En France, 70% des chiffres d’affaires commerciaux sont réalisées en périphérie, 10% dans les quartiers et 20 % dans les centres-ville (en Allemagne, ce rapport est respectivement de 30%, 40% et 30%). En dépit du coup d’arrêt porté à l’expansion de la grande distribution par le gel Balladur de 1993 et la loi Raffarin de 1996, le commerce de centre-ville reste durablement affaibli (p.109).
En matière de choix de sites, la formule des aires commerciales est simple : flux, accessibilité, visibilité, co-présence et capacité d’accueil. Les routes nationales pénétrant dans les villes réunissent tous ces critères, de même que les échangeurs d’autoroute et les rocades, devenus progressivement les lieux les plus convoités (p.110). Localisations et accès sont repérés et négociés en amont, auprès des propriétaires privés, des aménageurs de ZAC et des DDE. Ils sont évalués en fonction des retours sur investissements et des taux de pénétration optimum.
Les opérations de remembrement des terrains agricoles menées dans l’après-guerre ont, à bien des égards, préparé et permis de dégager les grands terrains qu’ont investis les mondes de la consommation de masse (p.119). Dans les régions encore peu urbanisées, ou lors de la reconversion de centres de première périphérie, les grands groupes testent de nouvelles formules, par exemple le fun shopping (Carré de Soie, OL Land ?) qui associe espaces de loisirs et magasins (p.134).
A côté de cela s’opère une tendance lourde de spécialisation des centres historiques comme lieux de loisirs (p.140). Cela se traduit électoralement par un mouvement associatif, souvent malthusien, qui se protège de l’étranger en transit par des plans de circulation repoussoirs (zone 30, plan en marguerite, péage) ; économiquement par une perte des activités de proximité (commerces, ateliers…) au profit du shopping et du tourisme de masse ; et socialement en renforçant une survalorisation patrimoniale car l’absence de foncier et de bâti disponible favoriser une discrimination dans l’accès aux logements.
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Le capitalisme de firme, qui génère majoritairement la ville franchisée, doit faire face à une concurrence interne forte, tout en satisfaisant l’actionnaire, qui sinon, ira investir ailleurs. Ces firmes doivent investir continuellement dans le renouvellement des produits et parfois des idées. (p.157). Et parce que la ville doit « se vendre » les élus sont peu enclins à proposer des projets urbains ou territoriaux, sources potentielles de hausses d’impôts, de contentieux et parfois de conflit avec l’électeur. Ils accepteront donc facilement des produits clés en main, au nom du maintien de l’emploi (p.160). Apparaissent alors des ensembliers qui vendent aux élus des quartiers préfabriqués en assurant des délais de réalisation et des services après vente.
D’un côté on a « Paris Plage », les « Nuits blanches », les week-ends à thème avec le forfait quatre jours/deux nuits incluant transport, hôtel, expos, shopping, Disneyland Paris et café d’Amélie Poulain, de l’autre, une offre de logements de plus en plus réduite et inaccessible aux classes moyennes (p140). De l’amortissement Périssol en produits Besson pour l’investissement locatif et prêts à très faible taux, ainsi que pour l’accession à la propriété, l’attrait financier et fiscal l’emporte sur la valeur d’usage (p.165). L’habitat périurbain résulte en premier lieu d’un choix contraint (p.166) lors de l’arrivée du second enfant.
Devenus minoritaires, les agriculteurs se voient confrontés à des modes de transformation de l’espace imposés par des résidents dépourvus de tout lien avec l’activité agricole et finissent pas jeter l’éponge. La compétition entre villages s’est déplacée sur les terrains du tourisme et du loisir, avec l’organisation de concours d’espaces publics ou de villages fleuris et la création d’étangs artificiels. L’affrontement entre ces rurbains et les agriculteurs se jouent d’abord en amont, via la spéculation sur les terres agricoles (p.179).
Tandis qu’à l’échelle départementale, le faire-valoir direct où l’agriculteur possède des parcelles qu’il exploite reste majoritaire, en territoire périurbain, le mode de faire-valoir indirect, le fermage, s’est progressivement imposé. Les cessions de terrains restent exceptionnelles du fait de la moindre valeur des terres agricoles, sans commune mesure avec leur valeur de terrain à bâtir, jusqu’à cinquante fois plus élevée. On assiste à un phénomène de rétention des terrains agricoles, les propriétaires privilégiant des baux limités ou précaires afin d’être aussi peu contraints que possible et afin de saisir les opportunités futures du marché immobilier (p.180).
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D. Mangin, La ville franchisée, Editions de la Villette, 2004.
Le modèle des V7 : La ville est maillée par un ensemble de route de deux fois deux voies (V3), aucune maison ne donne sur les V3 définies comme des voies de sectionnement et de distribution. A mi-largeur, une voie transversale est-ouest traverse le secteur, portant l’ensemble des activités et services quotidiens, il s’agit de la rue vivante, elle porte le commerce (V4). La V5 distribue en boucle les différents quartiers qui composent le secteur ; elle assure la communication nord-sud. Les V6 sont des allées piétonnières qui desservent les maisons. Les V7 sont des continuités vertes nord-sud, accueillant les écoles, les terrains de sport et les petits équipements collectifs. Plus tard, la V8 sera dédiée aux bicyclettes et la V9 correspondra à des traversées piétonnes au plus court, ceux sont des desire lines.
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