L’histoire de notre temps
Il est toujours hasardeux de réduire les propos historiques, d’autant que les causes événementielles sont souvent multiples, aussi inviterai-je le lecteur à lire les ouvrages de René Rémond consacrés à l’histoire de notre temps. Etonnamment et à plusieurs reprises, l’auteur semble prendre parti pour le modèle anglo-saxon qu’il nous ferait presque apprécier : Le réformisme serait plus souhaitable que les révolutions, définies comme plurielles. Il évoquera les phases de transitions monarchiques, libérales, démocratiques puis socialistes, chacune d’entre elles étant prises en étau par les mouvements qui les précédent et succèdent.
Son propos s’ouvre sur une leçon de géopolitique : le passage d’un monde fragmenté et cloisonné à un monde qui présente une unité relative est une des lignes de l’évolution de l’histoire. Sous l’ancien régime, la mer met en relation beaucoup plus que la terre ; l’homme est alors plus loin de l’homme qu’aujourd’hui. Le continent oppose souvent un obstacle à peu près insurmontable alors que les mers mettent en communication les rivages opposés. Il y a les sociétés maritimes, lesquelles ont pris une avance considérable, et les sociétés continentales presque exclusivement terriennes, où l’économie est tout agraire. Ainsi, à l’ouest, on trouve donc une bourgeoisie importante qui n’a pas son équivalent à l’est.
L’absence de bourgeoisie à l’est aura des conséquences sur l’économie et sur les gouvernements, le pouvoir suscite l’industrie, l’interventionnisme étatique est une des caractéristiques du despotisme éclairé, une version sécularisée de la monarchie absolue. Du fait d’une économie arriérée, de l’absence de capitaux, de pas ou peu de bourgeoisie, d’une instruction encore restreinte, les pratiques interventionnistes fondent déjà une tradition autoritaire qui se perpétuera jusqu’au XXe siècle. En France, l’Etat est obligé de se substituer à une bourgeoisie plus avide de considération que de profit. L’ordre se définit par le statut, aussi parle-t-on aussi bien d’ordre ou d’état. L’ancien régime part de la reconnaissance de la diversité et la consacre juridiquement. Sans administration, il n’y aurait pas eu de monarchie absolue, celle-ci se donne une forme moderne, la plus rationnelle et la plus efficace.
La révolution a commencé par une révolte des privilégiés, avant d’être la révolte du tiers contre la société privilégiée. La collusion qui s’affiche entre le pouvoir royal et les privilégiés rejettera la bourgeoisie dans l’opposition révolutionnaire. On en vient à se demander si la monarchie n’a pas péri d’un excès de faiblesse que d’autorité, celle de ne pas avoir pu imposer aux privilégiés le respect de l’intérêt général. S’opère alors progressivement un revirement : une alliance entre la monarchie absolue, centralisatrice, et la bourgeoisie, dont le rôle économique s’accroît, contre les privilèges de la noblesse. Ainsi l’évolution politique et économique condamne-t-elle à terme les veilles distinction en ordres. Et le nationalisme serait un sentiment plutôt de gauche lié aux forces populaires et à l’œuvre de la révolution. Le libéralisme, en imposant la continuité du travail sans possibilité de pratiquer les commandements religieux – à la différence de l’ancien régime -, contribuera à la déchristianisation.
C’est alors seulement que commence ce que Valéry a appelé le temps du monde fini. Le total achèvement de la découverte du monde est un des éléments qui concourent à l’exaspération des rivalités entre les nations et à la naissance de l’impérialisme. L’affirmation que le bonheur est un droit de l’individu et une responsabilité de l’Etat étend à l’infini le domaine des attributions publiques. Le déficit budgétaire a assurément joué un rôle puisqu’il fut à l’origine de la convocation des Etats généraux. On a souvent imputé la crise à l’application du traité de libre-échange Eden signé en 1786 entre la France et l’Angleterre. La révolution ne fait que prolonger directement l’œuvre étatique et centralisatrice des souverains absolus.
Il n’est pas question de faire du budget l’instrument d’une redistribution des revenus ni de retirer aux uns pour donner à ceux qui ont moins. Tout au long du XIXe s, la masse globale des dépenses indispensables est allée sans cesse croissante puisque l’Etat reprend à son compte des attributions qui incombaient à l’initiative privée ou qu’il laissait à la charge des collectivités locales (réseau routier). L’instruction représente un poste comportant du budget, mais c’est surtout la paix armée qui accroît démesurément le budget de la défense nationale. En France, l’impôt sur le revenu se heurta à de très vives résistances, mais la nécessité de financer l’effort de guerre obligea le Parlement à l’adopter en 1917. Ce qui fait dire à l’auteur que « sans la première guerre mondiale, la France aurait peut être attendu 1936 ou 1945 pour adopter l’impôt sur le revenu ».
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Rémond R., Introduction à l’histoire de notre temps, tomes 1 et 2, Points Histoire, 1974.
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