Une société archipel qui envisage ?
A l’occasion de la conférence des villes organisée sur la politique de la ville par l’Association des Maires des Grandes Villes (AMGVF) le 22 septembre 2010 à Paris, le Président de l’AMGVF ouvrit la discussion sur deux évolutions sociétales majeures. D’une part, la pauvreté n’est plus tant parmi les personnes âgées vivant en zone rurale mais se trouve désormais parmi les jeunes urbains issus de familles immigrées monoparentales. D’autre part, les déplacements quotidiens se sont accrus, passant de 3km à 40 km/jour. Il conclut sur une belle référence à l’espérance de Jean Cocteau : il est urgent de « passer d’un regard qui dévisage à un regard qui envisage”.
L’intervention du Médiateur de la République, ancien Président de l’AMF et ancien Ministre (UMP) de la Fonction publique, de l’Aménagement du territoire et de la Réforme de l’État sous JP. Raffarin, fut fortement saluée : Celui-ci dénonça la montée d’un “racisme social”. La crise de l’Etat providence a laissé place à une société fragmentée, consommatrice de droit et déresponsabilisante. La crise que rencontre le principe d’autorité finit par atteindre toutes les strates, dont celles des collectivités. La démocratie de convictions a disparu au profit d’une démocratie d’émotions avec addictions médiatiques, lesquelles entraînent une disparition progressive des identités primaires. Depuis la fin des espérances collectivistes puis libérales, il ne reste plus que l’exploitation des peurs et des humiliations, lesquelles génèrent de la mésestime parmi des personnes déjà en souffrance. Leur quête d’identité ne peut alors que s’exprimer de façon de plus en plus violentes. En réponse, les politiques gouvernementales sont devenues gestionnaires et ne font plus d’accompagnement social. Il importerait de restructurer les échelons intermédiaires dans les quartiers grâce au bénévolat, lequel permettra de valoriser le capital humain et non le capital financier, car le drame du 21e siècle ne sera plus celui de l’affrontement mais de l’isolement.
Le Président de la CU du Mans confirmera le fait que l’effort fiscal des urbains est plus important que celui des ruraux et qu’à l’avenir, la richesse fiscale des collectivités reposera sur les impôts ménages. Il faut que l’Etat cesse de transformer les ressources fiscales en dotation. Le secteur bancaire sera appelé à la tribune : les collectivités ont moins investi du fait de la hausse des dépenses sociales en période de crise. Quelque peu agacé, le Président de la CU du Mans leur rétorquera qu’il faudrait déjà pour commencer que les banquiers revoient leurs marges à la baisse.
Le Président de la CU de Dunkerque exige une révision draconienne de la politique de la ville, en cessant le saupoudrage sur 700 quartiers afin de mieux cibler les aides, position qu’approuve la Secrétaire d’Etat à la politique de la ville, bien que plus modérément. Son discours final sera mot pour mot identique à ses précédents discours (cf congrès de l’AMIF), comme-ci la situation était gelée, au mieux, à moins qu’elle n’ait pas saisi que ses interlocuteurs pouvaient écouter/enregistrer ce qu’elle pouvait bien dire. Surprenant.
Le Maire de Clichy déplorera qu’il n’y ait plus d’ascenseur social mais une société fragmentée, dans laquelle passer d’une île à l’autre serait devenu quasiment impossible. Roland Castro de Banlieues 89 lui répondit qu’il aurait fallu appliquer la proposition mitterrandienne visant à accorder le droit de votes aux parents immigrés dont les enfants sont nés en France pour que les parents aient au moins les mêmes droits que leurs enfants. Il déplore le fait que la Secrétaire d’Etat à la politique de la Ville cherche depuis quelques temps plus à exclure qu’à intégrer, et que l’action du gouvernement ne consiste qu’à stigmatiser des communautés : la solution viendra des élus de terrains et non de vaines batailles idéologiques. Le Président de la CA de Toulouse estimera qu’il ne faut pas opposer collectivités et Etat, et si la politique de la réussite éducative rencontre un beau succès, celle du peuplement a été un échec. Le Maire de Clichy constate le retrait des crédits de droit commun pour l’aide aux devoirs alors qu’il s’agit justement d’une des rares politiques qui fonctionne.
Selon le Président de la CA de Perpignan, la délégation des aides à la pierre serait au milieu du guet. Il serait logique qu’à terme, le DALO soit décentralisé aux EPCI. Pour le moment, le pilotage des dossiers ANRU par l’Etat et celui du FSL par le département nécessite un pacte de responsabilité locale si l’on veut réellement mettre en oeuvre un droit opposable au logement. Il est anormal que les conventions d’utilités sociales soient contractées par l’Etat et les bailleurs (non adossés aux EPCI) sans que les EPCI ne soient associés. Il préconise la création d’établissements publics fonciers locaux pour infléchir le coût du foncier, point de vue que ne partage par le Président de la CU de Bordeaux, lequel ne souhaite pas rajouter un niveau de fiscalité additionnelle. Alain Juppé, venu pour parler du Grand Emprunt et des relations franco-chinoises, estime en effet plus urgent que l’Etat accepte de céder son patrimoine aux collectivités sans faire de plus-values exorbitantes sur la cession des biens.