Rapporteurs publics et juges administratifs
La fonction du commissaire du gouvernement/rapporteur public date d’une ordonnance du 12 mars 1831. Conçue pour représenter le point de vue du gouvernement lors d’une audience, sa fonction subordonnée disparut en 1851. Le décret du 7 janvier 2009 substitua l’appellation de rapporteur public à celle de commissaire du gouvernement afin de supprimer toute ambiguïté. Fonction des plus emblématiques, elle va connaître une certaine fragilisation depuis les arrêts de la CEDH dans l’affaire Kress c./France du 7 juin 2001, Loyen c./France du 5 juillet 2005 puis Martinie c./France du 12 avril 2006.
Au cours d’une audience devant les juridictions administratives, le magistrat rapporteur résume les conclusions et moyens présentés par les parties et celles-ci pourront faire des observations orales en retour. Puis, le commissaire du gouvernement procède à la lecture de ses conclusions en toute indépendance. Après l’audience, l’affaire est mise en délibéré. A cette occasion, les juges se réuniront et discuteront de la solution proposée par le magistrat rapporteur. A l’issue de ce délibéré, le jugement sera rédigé puis notifié aux requérants.
En théorie, les parties ne pouvaient donc plus prendre la parole après le commissaire du gouvernement, puisque son intervention se situe après la clôture des débats. La pratique a toutefois consacré la possibilité pour les parties de faire parvenir une note en délibéré pour compléter leurs observations orales ou répondre aux conclusions du commissaire du gouvernement. De même, le décret du 17 janvier 2009 donne la possibilité d’expérimenter une modification de l’ordre d’intervention au cours de l’audience afin que les parties puissent s’exprimer après le Commissaire du gouvernement/Rapporteur public, laissant ainsi une plus large place à l’oralité.
Après l’audience, il était d’usage depuis 1930 que le commissaire assiste au délibéré et c’est là que le bât blesse.
En effet, la Cour européenne considéra dans son arrêt du 7 juin 2001 que la présence du commissaire du gouvernement, susceptible d’influencer le délibéré, était contraire à l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, si bien que le décret du 19 décembre 2005 précisera que le commissaire du gouvernement assiste au délibéré, sans toutefois y prendre part. Ce qui valut une sanction.
Dans son arrêt Martinie c./France du 12 avril 2006, la Cour européenne des droits de l’homme réitéra sa position, si bien que le décret du 1er août 2006 prévoira deux systèmes : La présence, sans participation au vote, du Commissaire du gouvernement reste admise lors des délibérés du Conseil d’Etat, sauf demande contraire d’une partie, ce qui préserve les libertés. En ce qui concerne les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, la décision est désormais délibérée hors présence des parties et du Commissaire du gouvernement.
Dans son arrêt Etienne c./France du 15 septembre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme considéra la compatibilité de ce nouveau dispositif avec la convention des droits de l’homme.
Au-delà de l’existence de voies de recours internes, la justice a-t-elle considéré la présence d’un rapporteur public comme étant susceptible d’entacher l’indépendance d’esprit des juges administratifs, ce qui soulève la nature des relations entre les rapporteurs publics et les juges administratifs, voire de l’effectivité de la neutralité des rapporteurs publics, pourtant membre de la même juridiction ? Et n’est-il pas surprenant que la simple présence d’un rapporteur public ne soit pas tolérée dans le cadre d’une juridiction de 1e et 2e degré (tribunal administratif et cour administrative d’appel), mais qu’elle puisse éventuellement l’être au 3e degré (Conseil d’Etat) ?
Le raisonnement de la CEDH reposerait sur « la théorie des apparences », familière aux juristes anglosaxons : il ne suffit pas que le juge soit, dans la réalité indépendant et impartial, qualités qu’elle n’a jamais déniées au Rapporteur public, il faut aussi que cela se voit et que les parties ne puissent nourrir aucun doute, même infondé.
Si avant 2005, dans les faits, les rapporteurs étaient choisis par les chefs de juridiction, leur nomination intervenait formellement par décret du Premier Ministre. Le décret de 2005 consista à mettre l’apparence en accord avec la réalité, à savoir l’impartialité des Rapporteurs publics : les Rapporteurs publics au Conseil d’État sont ainsi désignés par le Vice-Président du Conseil d’État, sur proposition du Président de la section du contentieux. Pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, ils sont désignés par le Vice-Président du Conseil d’État, sur proposition du Président de la juridiction et après avis conforme du Conseil supérieur des Tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel.
Alors que l’indépendance des magistrats judiciaires et leur inamovibilités sont explicitement inscrites dans la Constitution et dans leur statut, celle des juges administratifs est reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel (DC du 22 juillet 1980), l’érigeant en principe à valeur constitutionnelle. De même, l’inamovibilité des magistrats des tribunaux administratifs et des cours d’appel est garantie par le Code de justice administrative, toutefois, l’inamovibilité des membres du Conseil d’Etat affectés à la section du contentieux ne l’est pas.
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