La difficile filiation culturelle
De retour à la bibliothèque municipale où j’avais emprunté l’ouvrage des éditions « Le Passage » ainsi que d’autres livres pour les jeunes à l’occasion de mon voyage au bord de mer, voici que la personne responsable du lieu s’empresse d’attirer mon attention : « Vous savez, les bibliothèques sont les parents pauvres de la politique culturelle de la Ville…à moins d’ouvrir le dimanche ou bien d’avoir de grands écrans plasmas. Certes, des efforts ont été consentis, des bibliothèques ont été restaurées, certaines inaugurées… Mais nous ne sommes pas assez visibles, pas assez clinquants pour la municipalité, alors le budget de fonctionnement en pâtit….Vous ne voudriez pas devenir conservatrice ?».
La tragédie de la culture, ou plutôt devrais-je dire des cultures, renverrait-elle à ce difficile travail de transmission ? Ces agents de la direction des affaires culturelles auraient-ils l’impression d’être les gardiens de la forêt des mal-aimés ? Sujets à une hypermnésie malvenue, ils se confondent à leur triste sort. Je lui répondis que la sauvegarde des petits éditeurs et librairies de quartier confrontés à l’hyper concentration des grands groupes médiatiques me paraissait bien plus en danger. La bataille mondiale de la connaissance devrait plutôt viser à préserver la diversité des savoirs, garante d’un système démocratique.
Vingt heures, la bibliothèque fermait ses portes. Olivier m’attendait devant la file d’attente du cinéma le Panthéon. Lui faisant part de ma récente conversation avec la Conservatrice sur l’absence de transmission, il me répondit « La cause est complexe, l’idéologie soit disante progressiste des soixante-huitards, se réclamant de la liberté contre l’autorité, crût dépasser le complexe de Prométhée. Le fils se vengeant du père et du passé fit table rase ». Serait-il possible que nous ayons ainsi pour feuille de route cette difficile quête de réconciliation avec le passé. Le besoin légitime de liberté nécessiterait d’être tempéré par une éthique de la responsabilité et de l’équité vis-à-vis de notre héritage commun, tout en préservant la possibilité d’utopies créatrices. Se pourrait-il que l’humanité retrouve la sagesse de l’habiter au travers de son enseignement pédagogique ?
Les parents d’Olivier habitaient du côté de Bastille et j’étais passée un après midi les voir. Dans le salon, je découvris un important rayonnage de livres russes et en emporta quelques uns avec moi, dont Les Jeunes de Soljenitsyne. Je constatais que la pensée rousseauiste rejoignait d’ailleurs celle de Soljenitsyne pour qui, la connaissance s’acquiert davantage par l’expérience de la vie que dans les livres. Et s’il est aisé d’écrire sur toute chose, le véritable travail d’écriture, celui qui tire son essence d’une expérience vécue et que l’on reconnaît à l’intensité de son intime vibration, présente toujours un coût pour son auteur. Soljenitsyne accorde de l’importance à la responsabilité ainsi qu’à la valorisation de l’écrivain. L’oeuvre reste ancrée, telle une trace ineffaçable, en mémoire de…
Je me souviens que l’écrivain russe pouvait rester contemplatif devant les arbres morts du fait que ces derniers mourraient debout, dignement. Sans doute faudrait-il institutionnaliser sur Paris des obsèques civiles, tous les moments importants de la vie méritent un rite républicain. Mon penchant naturel m’inclinerait à trouver un meilleur repos auprès de la douceur du bois, l’atmosphère feutrée des vieilles bibliothèques et de ses nombreux ouvrages polis par le temps, conservant ainsi la trace de pensées intemporelles mais si réelles. Une façon vertueuse d’être en paix, de réconcilier les sentiments et les lois, la personne et le citoyen, le pédagogue et le républicain.
Enfant, je rêvais d’un milieu où les livres remplaceraient les murs. Réalisant l’architecture de mon imagination, j’eus la chance d’accéder de façon illimitée aux trente cinq kilomètres de rayonnages bien gardés de la bibliothèque de la Sorbonne. Je parcourus ce vaste labyrinthe, riche d’autant de passages, de mondes à découvrir et d’enfants retrouvés. Je les voyais heureux et légers, leurs âmes dansant dans les reflets des feuilles d’un bel automne.
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