La mise en œuvre du mode Lolf dans les collectivités
Assurer la lisibilité des comptes, permettre aux élus et aux citoyens d’identifier les priorités établies par la collectivité, connaître les moyens dont dispose la collectivité pour chaque politique, mesurer les résultats obtenus et identifier les insuffisances, tels sont les objectifs de la Lolf. Elle conduit à identifier les améliorations à apporter au compte administratif de sorte que celui-ci dépasse son statut de contrôle de l’action de la collectivité et relève de la prospective. Elle permet un véritable débat et un véritable contrôle sur la politique, ce qui ne peut que bénéficier à la transparence et à la démocratie locale.
Certains directeurs aux finances expriment pourtant leur réticence quant à s’orienter sur une gestion en mode lolf, car celle-ci pourrait faciliter à terme le conditionnement des concours de l’Etat. Le développement d’indicateurs de performance communs afin de comparer les collectivités locales et visant à affecter une partie des dotations – d’équipement par exemple – en fonction de leurs résultats reste en effet d’actualité. Toutefois, Jean Arthuis ne considère-t-il pas comme admis le fait que l’Etat ne puisse fixer les objectifs budgétaires aux collectivités en raison du principe constitutionnel de libre administration, et d’autre part, ne vaut-il pas mieux connaître ses marges de progression que rester dans l’ignorance ?
La gestion des collectivités constitue un terrain particulièrement fécond de mise en œuvre de la démarche de performance sur laquelle repose la Lolf, mais cette mise en œuvre a conduit à des résultats particulièrement diversifiés. Celles qui ont utilisé les techniques de gestion l’ont fait, selon les cas, en se déconnectant résolument des techniques propres à la Lolf (par exemple à Lyon), d’autres, au contraire, en s’efforçant de transposer leur action en missions/programmes/actions, assortis d’objectifs et d’indicateurs.
L’expérience des collectivités
La Ville de Paris est l’exemple type d’une collectivité ayant engagé une démarche partielle sur la Lolf. Seules deux directions (direction du patrimoine et inspection générale de la Ville de Paris) connaissent un nouveau mode de fonctionnement. Derrière chaque mission, il y a un gestionnaire qui dispose d’une enveloppe pour atteindre ses objectifs et recourt donc à la fongibilité.
La Ville de Lyon est relativement en avance sur la démarche de type Lolf, contrairement à la communauté urbaine du Grand Lyon un peu plus en retrait. Elle s’est lancée dans la démarche suite à la rénovation de son système informatique en 2000. La Ville présente son budget et l’exécute à travers une structure « service/programmes/opérations », laquelle s’organise conformément à un système de gestion appelé le PEF, le Plan des engagements financiers conforme au plan de mandat (cf RFFP, septembre 2006).
A la Ville d’Angers et sa Communauté d’agglomération, le passage à un budget par objectif repose sur la création d’un service de contrôle de gestion mutualisé afin de réduire les coûts et de renforcer la consolidation.
Le Conseil général du Rhône a quant à lui défini 17 politiques publiques d’intervention déclinées en programmes. La définition d’objectifs stratégiques et opérationnels sont assignés à 9 pôles d’intervention et 54 unités territoriales. Cette démarche s’appuie sur l’observatoire départemental, structure d’accompagnement créée en 2005 auprès du directeur général. Animé par 10 professionnels, l’observatoire a mis en place une boite à outils permettant de définir les indicateurs partagés, élabore des tableaux de bord accessibles à tous les élus et tous les agents et produit des outils d’information (notes thématiques) et des travaux d’audits.
La Région Bretagne, lors du passage à la M71, et le Département de la Mayenne, sont allés jusqu’à dépasser le cadre de la gestion pour l’étendre au domaine budgétaire en préparant, discutant et exécutant le budget en mode Lolf. Au Conseil général de la Mayenne présidé par Jean Arthuis, toute l’organisation administrative a été revue : des groupes de travail par programme et des commission d’études, chargées de réaliser des diagnostics et de définir les axes de progrès et les objectifs par programme, ont été créés. Celui-ci fait figure de précurseur.
Le cadre réglementaire
Mais même sous cette forme, le budget ainsi adopté est resté en marge du budget officiel, lequel reste établi par nature ou fonctions selon les prescriptions des instructions de la M14, M52 ou M71.
Les marges d’évolution sont sur cet aspect pour le moins considérable : On sait que depuis le 1er janvier 1997, l’instruction de la M14 a institué l’option du vote du budget local par grandes fonctions pour les communes de plus de 10 000 habitants, les instructions M52 et M71 font de même pour les départements et les régions. Pourtant, seules 100 communes votent leur budget par fonctions, seuls 20 départements sur 100 suivent cette méthode, alors que la quasi-totalité des régions ont choisi cette modalité de vote de budget.
Si la Lolf a pu influencer la procédure et la présentation budgétaires locales, la transposition reste difficile, non seulement parce qu’elle doit accompagner une démarche « managériale », stratégique et pluriannuelle, mais encore parce qu’elle suppose de surmonter les rapports entre budget et comptabilité et le choix de la nomenclature budgétaire.
Les plus grandes collectivités pourraient pourtant utiliser la structuration Lolf au niveau de l’autorisation budgétaire ou rester en vote par nature en indiquant la structuration Lolf. Les collectivités moyennes utiliseraient la structuration Lolf de manière indicative en regroupant les crédits en une dizaine de postes fonctionnels et les collectivités les plus petites resteraient dans un système par nature.
L’autonomie des collectivités
Les communes de Nantes et Saint Nazaire, ainsi que le Département de la Mayenne, réclament une évolution du cadre légal et réglementaire afin de permettre le vote du budget par objectifs, ce qui n’est pas encore autorisé. La plupart des élus ne souhaitent pas pour autant une nouvelle loi organique sur les finances locales. Jean Jack Queyranne estime qu’un texte unificateur paraît en ce domaine contraire, à la fois, à la performance de la gestion locale et au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales locales.
Le rapport Lambert/Migaud conclut également sur le fait qu’une Lolf locale serait inopportune, mais propose de favoriser l’extension de ses principes aux collectivités territoriales. Seules les collectivités qui le souhaitent pourraient librement déterminer leur nomenclature de «budget-gestion ».
Selon le Conseil de l’Europe, quatre pays - le Royaume Uni, le Danemark, la Turquie et la Roumanie – ont déclaré avoir confié au gouvernement central la majeure partie des responsabilités en matière de contrôle et de gestion de la performance des collectivités locales. Le Danemark pratique la réddition des comptes à l’extérieur des collectivités.
La mise en œuvre de la performance
Les outils dits prospectifs, liés à la segmentation stratégique, mais aussi à la réorganisation budgétaire, constituent les pratiques implémentées dans un premier temps. La définition d’objectifs et indicateurs de performance suit, avant que ne soit mise en œuvre la responsabilisation des agents et/ou des directions. 83% des démarches recensées ont été engagées sur ces 3 dernières années.
Dans la pratique, il apparaît que certains acteurs de la collectivité restent faiblement associés. Ainsi, les élus sont concernés dans 30% des cas, les directeurs opérationnels dans seulement un quart des cas, et les agents administratifs et opérationnels dans seulement 13% des cas. Le portage politique mériterait d’être renforcé.
Dans 42,8% des cas, le logiciel financier a fait l’objet de modification voire de changement et 71,4% des collectivités ont effectué une refonte totale des procédures de leur système d’information budgétaire et comptable. Enfin, seule 20,8% des collectivités communiquent en externe sur la démarche de performance engagée.
Ainsi qualifié d’administratif plutôt que de politique, le modèle de gestion de la performance des collectivités locales françaises se distingue des pratiques internationales. En particulier, les démarches initiées dans les collectivités anglo-saxonnes ou danoises semblent être caractérisées non seulement par une implication forte des élus, mais également par une volonté de placer le citoyen ou l’Etat au centre des outils et modalités de mise en oeuvre
Le choix des indicateurs de performance
Produire des indicateurs de performance reste une opération particulièrement complexe.
Selon l’étude d’AFIGESE-CT (association finance, gestion, évaluation des collectivités territoriales), la typologie retenue pour le budget de l’Etat est inopérante pour les collectivités. Le classement en « activité, coût, moyens, impact et qualité » au niveau local est à préférer à l’organisation « citoyen, usager, contribuable » suivi au niveau de l’Etat. Au delà du choix de la typologie, il faut surtout que les indicateurs soient à la fois stratégiques et opérationnels.
Ainsi, 89% des collectivités ayant défini des objectifs de performance ont élaboré des objectifs stratégiques et seulement 67% ont élaboré des objectifs opérationnels. 43,5% des collectivités ont formalisé leurs objectifs dans un plan annuel de performance, annexé au budget primitif dans 50% des cas, et présenté lors du vote du budget primitif et du conseil dédié au DOB dans respectivement 83,3% et 50% des cas.
En moyenne, les collectivités locales engagées dans une démarche performance ont mis en oeuvre 7 indicateurs par programme, 3 par action, pour un total de 338 indicateurs.
Le rôle de la chambre régionale des comptes
Il est frappant de constater que la plupart des programmes électoraux ne contiennent aucune donnée précise et encore moins chiffrée sauf pour les grandes collectivités.
A l’image de ce qui se fait pour l’Etat, les chambres régionales des comptes, en sus des services du Trésor et des Préfectures, pourraient, suite à des demandes d’assistance formulées par l’exécutif local et le président de la commission de finances, sous couvert de disposer de moyens suffisants et sans se substituer à l’arbitrage du politique (la loi de 2001 leur interdit formellement tout contrôle d’opportunité), permettre aux élus d’avoir une analyse plus pertinente des questions budgétaires. Pour exemple, la Communauté d’agglomération d’Hénin-Carvin a mis en place la démarche Lolf suite aux conclusions de la chambre régionale des comptes sur l’organisation comptable et financière de la collectivité et à une proposition de la Trésorerie Générale dans le cadre de sa politique de contractualisation.
Lorsque la chambre régionale des comptes opère un examen de gestion, elle analyserait alors en détail la pertinence du système d’audit interne en signalant ses défaillances, comme l’absence d’une comptabilité analytique ou l’absence d’évaluation de l’impact des aides aux entreprises (CRC Champagne-Ardennes, 28 janvier 2002, Région Champagne-Ardennes n°2-071 et Rapport public de la Cour des comptes, Les évolutions du pilotage et du contrôle de la gestion des collectivités locales, la documentation française, janvier 2009).
Enfin, le rapport Richard recommande-t-il pas un « pacte de solidarité et de performance » entre les collectivités et l’Etat ?
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Source :
La Lolf et les collectivités locales, Revue Française de finances publiques, LGDJ, n°107, juin 2009.
Pour en savoir plus :
La Cour des comptes, Les évolutions du pilotage et du contrôle de la gestion des collectivités locales, La documentation française, janvier 2009.
Afigese, Les démarches locales de performance, OPPALE, 2008.
S.Huteau, La nouvelle gestion publique locale, Le Moniteur, 2008.
Revue Française de finances publiques, septembre 2006.
CNFPT-INET, les démarches de type Lolf, Rencontre du club finances de la Gazette, 2006.
A.Lambert et D.Migaud, La mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, rapport au gouvernement, octobre 2006.
Conseil de l’Europe, Rapport sur la gestion ders performances au niveau local, 2005.
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