Le temps, la ville et l’urbaniste

7 octobre 2010

Les conflits d’intérêts selon Martin Hirsch

Publié par alias dans Droit public & pénal

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Après avoir passé trois ans au sein du gouvernement Fillon (cf livre de Paugam sur la régulation des pauvres), tel est le constat de départ de Martin Hirsch, Conseiller d’Etat et Président de l’Agence du service civique qu’il a lui même créé en tant que Haut Commissaire : En France, nul besoin de règles et de procédures car la morale et la vertu seraient censées être innées, mais c’est aussi un pays où l’on peut se faire réélire triomphalement après avoir été condamné définitivement pour trafic d’influence et corruption. Ce fut en effet ce qui m’a le plus étonnée dans l’affaire Tiberi : Malgré sa condamnation pour fraude électorale, les électeurs l’ont réélu Maire en 2008, à une courte majorité certes (220 voix : 1%). Comment expliquer de telles attitudes ?

Selon Marcel Gauchet, évoquer l’éthique politique réactiverait le divorce entre le peuple et ses élites. Celui qui s’y risque est vite accusé d’entonner le refrain de « tous pourris ». De plus, la transparence serait assimilée à du voyeurisme.  »Or soulever la question du conflit d’intérêt consiste simplement à porter le plus haut possible l’honneur démocratique et avoir conscience de son intime fragilité » estimera Martin Hirsch.

Cela commence bien souvent par des petits cadeaux et invitations de toutes sortes, une forme douce de corruption dont il put entrevoir certains aspects en siégeant dans la commission pour la transparence financière de la vie politique : l’élu perd l’habitude de devoir payer sa place au concert ou à l’opéra (cf mon article sur les pratiques culturelles élitistes), considère normal d’être invité pour un séjour à l’étranger, use de son mandat public pour obtenir un stage ou un emploi pour son fils/fille ou proche (cf le népotisme décrit dans le livre de Zoé Shépard)… Pourtant l’ordonnance de Philippe Le Bel de 1302 interdisait de recevoir des cadeaux, d’accepter des prêts pour soi-même et sa famille et instaurer l’interdiction de se prononcer lorsqu’un parent ou un ami était concerné par l’affaire à traiter.

Selon le Conseil de l’Europe,  » un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle un agent public à un intérêt personnel de nature à influer ou paraître influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles. »  La notion de conflits d’intérêts, peu connue en France, serait d’origine anglosaxonne. Martin Hirsch s’en prend ouvertement à l’ENA, laquelle enseigne le New Public Management, encourageant de la sorte les passerelles public-privé, ces zones grises créant autant d’opportunités pour la corruption, sans jamais évoquer les conflits d’intérêts ou la déontologie. On y apprendrait plutôt que le coût pour l’Assurance maladie des dépenses liées à la consommation de tabac serait plus que compensé par les économies pour le système des retraites liées aux décès prématurés. Cynique ? Faut-il comprendre que la culture anglo-saxonne ne serait transmise que partiellement ? De plus, comment Martin Hirsch peut-il dire qu’une connivence public-privé n’est pas envisageable dans l’esprit des Français, tout en exigeant une action préventive afin d’éviter de trop fortes suspicions ? Serions-nous devenus des utopistes désenchantés ?

Dans l’ouvrage « Une société de défiance« , Yann Algan et Pierre Cahuc font  le constat d’une défiance mutuelle et d’un incivisme propre à la culture française : « Depuis plus de 20 ans, des enquêtes menées dans tous les pays développés montrent que les Français, plus souvent que les habitants des autres pays, se méfient de leurs concitoyens, des pouvoirs publics et du marché.  Cette défiance va de pair avec un incivisme plus fréquent dans des domaines essentiels du fonctionnement de l’économie et de l’Etat-Providence. Défiance mutuelle et invicisme persistent depuis plusieurs décennies (montée en charge depuis la seconde guerre mondiale plus précisément). Selon les deux chercheurs du CEPREMAP, la défiance induit une peur de la concurrence qui provoque l’institution de barrières à l’entrée réglementaire, lesquelles créent des rentes de situation favorisant la corruption et la défiance mutuelle. Cela tiendrait d’une forte tradition étatiste et corporatiste, se traduisant par une absence de dialogue social en amont et un blocage en aval.

La malhonneté commence quand le conflit d’intérêts se traduit en prise illégale d’intérêts, en favoritisme ou en corruption. En France, le conflit d’intérêts n’est pas mentionné dans le code pénal.  Dans la plupart des autres pays, il en va autrement. La faute commence en amont, dès lors que l’on est en situation de devoir concilier des intérêts contradictoires. En d’autres termes, Martin Hirsch explique qu’en France on a une stratégie de répression des conflits d’intérêts transformés en délit, pas de prévention des conflits d’intérêts. Cette approche trouverait ses racines dans une haute conception de la chose publique (cf La société de défiance, laquelle impute la défiance à une tradition étatiste corporatiste). Cette vision serait cohérente avec la tolérance pour le cumul des mandats et cumul des fonctions, suivant une conception élitiste du pouvoir. Or, la prévention permettrait de rendre la décision publique insoupçonnable. Les propositions de l’ONG Tranparency International, émises en juillet 2010 par Daniel Lebègue, ex DG de la CDC, pourraient être retranscrites dans une loi, suivant le modèle du Canada (juillet 2007).

Si le maillon faible du secteur sanitaire peut être l’expert, celui de travaux publics serait l’élu. Parmi les scandales liés à des conflits d’intérêts : celui du comité permanent de l’amiante, celui  du sang contaminé, la tempête xynthia… Dans le secteur sanitaire, la première mesure de régulation a été la « déclaration d’intérêts » mise en place dans le cadre de l’agence du médicament par Didier Tabuteau en 1994, équivalent du Sunshine Act américain. L’expertise scientifique devrait obéir aux trois règles d’or : transparence, indépendance,  compétence, conditions nécessaires à la confiance, pertinence et efficience. De telles régles devraient être étendues aux édiles de notre pays et Martin Hirsch estime que les permis de construire devraient être instruits par le Préfet dans les zones à risque. Celui-ci serait plus amène que les maires à prendre en considération le risque et à mettre en oeuvre le principe de précaution, alors que les maires seraient davantage exposés aux pressions et tiraillés par la rentabilité économique des opérations immobilières. Personnellement, je ne partage pas une vision aussi idyllique de la préfectorale, dont les intentions sont présumées éloignées des pressions de l’Elysée.

A voir la tête que fait Jean-François Copé, l’ouvrage de Martin Hirsch « Pour en finir avec les conflits d’intérêts » semble avoir fait des ravages au sein de l’UMP. Ainsi, Alain Juppé n’aurait « pas la moindre boussole intérieure ». Alors que le Président de la Fédération bancaire est le Président du Crédit Agricole, le Président de BNP Paribas, Michel Pebereau, se serait enrichi en rachetant Fortis du fait de sa participation à la cellule de crise de Bercy. Idem, Martin Hirsch salue le courage de Jean-Pierre Jouyet, Président de l’Autorité des marchés financiers, pour avoir qualifier de  »baroque » la double rémunération d’Henri Proglio (EDF+Véolia). Plus étrange, Martin Hirsch dira avoir refusé 150 000 euros de Véolia, ce qui lui permit de se sentir tout à fait à l’aise pour leur demander de consacrer 50 millions au fonds d’expérimentation pour la jeunesse, comme si ce versement n’impactait pas la réalisation et le succès de son mandat politique comme contrepartie. Et ses propos concernant Bernard Kouchner, Jean Pierre Raffarin et Jacques Chirac  seront fortement tempérés, biaisés par une sympathie et reconnaissance personnelle.

Les parlementaires, notamment les députés, ne sont pas en reste  : « Une entreprise qui a une usine dans la circonscription d’un député fera de ce député l’un de ses avocats ». »Oui, le trafic d’influence, c’est tous les jours ». Si bien qu’un comité de déontologie sera créé au Sénat en 2008, et rien à l’Assemblée Nationale. Un code de déontologie est en chantier depuis plus d’un an au Conseil d’Etat, il n’a pas abouti faute de consensus. Selon Martin Hirsch,  ciblant les activités lucratives de Jean-François Copé et de Gérard Longuet,  »il semblerait naturel d’interdire toute possibilité de conseil pour des entreprises privées, que le parlementaire agisse en qualité d’avocat ou de consultant ». Rappelant que « si les parlementaires sont obligés de déclarer leurs activités auprès du bureau de l’assemblée à laquelle ils appartiennent, ces activités ne sont pas rendues publiques. Une telle publicité existe au Parlement européen, où les députés doivent faire une déclaration publique d’intérêts, qui figure sur le site du Parlement. »Au minimum des rémunérations devraient être plafonnées, estime l’auteur. 

Avant que ne soit publié ce brûlot politique, le Président de la République annonça en juillet la création d’une commission de réflexion sur les conflits d’intérêts (www.conflits-interets.fr). Composée du Vice-président du Conseil d’Etat Jean-Marc Sauvé, de l’ancien premier Président de la cour d’appel de Paris Jean-Claude Magendie et du premier Président de la Cour des comptes Didier Migaud, celle-ci vient de commencer ses auditions, notamment avec le président de la Commission de déontologie des fonctionnaires, Olivier Fouquet. Ses conclusions sont attendues avant le 31 décembre. Parallèlement, l’Assemblée nationale a annoncé la mise en place d’un groupe de travail sur le sujet. Et Gérard Larcher et Gérard Longuet ont saisi Jean-Marc Sauvé afin qu’il vérifie si en écrivant ce livre, “en utilisant des informations dont il aurait eu connaissance quand il siégeait à la Commission pour la transparence financière de la vie politique”, l’ancien Haut commissaire aux Solidarités actives n’a pas enfreint la confidentialité à laquelle il était astreint.

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Hirsch M., En finir avec les conflits d’intérêts, Stock, 2010.

Algan Y., Cahuc P., La société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit. Prix du livre d’économie 2008. CEPREMAP. Editions rue d’Ulm. 2008.

Shepard Z., Absolument dé-bor-dée ou le paradoxe du fonctionnaire, Albin Michel, 2010.

Joly E., Notre affaire à tous, Les arènes, 2000.

Pour aller plus loin :

14e Rapport de la commission pour la transparence financière de la vie politique, JO, 1er décembre 2009.

Article de Torino Sérfini dans Libération sur la tempête xyntia.

Article de Martin Hirsch dans Le Nouvel observateur du 7 juillet 2010 sur les conflits d’intérêts.

Voir le blog de Martin Hirsch

Article de Jacques Dufresnes sur agora.qc.ca. « Conflits d’intérêts. Pour une éthique réaliste ».

Article de Didier Tabuteau et Pierre-Louis Bras dans Libération du 16 avril 2010 « Santé, encore un effort pour être transparent ».

Meny Y., La Corruption de la République, Fayard, 1992.

Fabius L., Les blessures de la vérité, Flammarion, 1995.

Juppé A., Je ne mangerai plus de cerises en hiver, Plon, 2009.

De Royer S. et Dumoulin F., Copé, un homme pressé, L’Archipel, 2010.

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