Assurance maladie et dépenses de soins
Dans un précédent article portant sur la réforme de la gouvernance de l’hôpital, j’évoquais la nécessité de penser à la répartition de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire, à son accessibilité notamment vis-à-vis des plus démunis, ainsi qu’à la mise en oeuvre d’une véritable politique de santé publique environnementale (et non uniquement de soins). Je vais ici évoquer le contenu d’un petit livre d’une collection dont je suis devenue une inconditionnelle, à savoir celle du CEPREMAP. L’ouvrage d’économie appliquée s’intitule « la lancinante réforme de l’assurance maladie », il fut concocté en 2006 par Pierre-Yves Geoffard, directeur de recherche au CNRS. Celui-ci s’intéresse aux dépenses de soins.
D’entrée, il explique qu’en moyenne, 9% de la dépense totale de santé restent directement à charge des ménages, ce qui le conduit à s’interroger sur la légitimité de cette participation. L’assurance maladie est un vaste chantier permanent, pas moins de 24 réformes se sont ainsi succédées depuis 1976, pour autant, le déficit de la branche maladie du régime de la Sécurité sociale se révélera être de 12,3 milliards d’euros en 2004. Le plan Douste-Blazy introduira un certain nombre de mesures – le forfait d’un euro par consultation, la baisse du taux de couverture de nombreux médicaments, un tarif spécialiste plus élevé hors parcours de soins, un forfait de 18 euros sur les soins lourds, le recours accru à des assurances complémentaires en situation concurrentielle - sur lesquelles l’auteur portera son expertise. Le chercheur entreprend par la suite une analyse comparative et constate qu’en Europe, la régulation du système de santé fait de plus en plus appel à une mise en concurrence, strictement encadrée, des caisses d’assurance maladie ainsi qu’ à une plus forte participation des assurés aux dépenses. Toutefois la concurrence entre caisses est assise sur un mécanisme de péréquation des risques que cela soit au Pays-Bas, en Allemagne ou en Suisse. De même, les dépenses annuelles laissées à la charge des patients sont plafonnées.
Son étude l’amènera à évaluer la corrélation entre niveau d’assurance et montant des dépenses en tenant compte du facteur élasticité-prix. Il différencie les situations « d’auto-sélection », lorsque le patient souscrit une assurance en anticipant un réel besoin de santé, et les situations ‘d’aléa moral », lorsque le patient a souscrit une assurance, laquelle l’incitera à effectuer un soin qui s’avère superflu. Dans le premier cas, trop peu d’assurance se révélerait inefficient ex ante, dans le second, trop d’assurance inefficient ex post. Se pose alors la question de savoir où mettre le curseur ? Le chercheur s’appuiera sur l’expérience de la RAND qui fut lancée en 1974 aux Etats-Unis. Celle-ci révéla que la probabilité d’avoir à fournir une dépense de soins augmente toujours avec le revenu, y compris lorsque le soin est gratuit. Par contre, la probabilité d’hospitalisation décroît avec le revenu. In fine, le montant total des dépenses suit une courbe en U par rapport au revenu, et ceci quelque soit le niveau de couverture ; mais les bas revenus dépensent davantage à l’hôpital, alors que les hauts revenus ont plus souvent recours à des soins ambulatoires. La gratuité permet aux individus aux revenus les plus bas de réduire les troubles de la vision, ceux liés à l’hypertension artérielle et d’améliorer la santé dentaire. Les dépenses de santé supplémentaires engagées par les individus les mieux couverts ne semblent pas améliorer leur état de santé. L’effet d’auto-sélection est plus fort pour les populations les plus fragiles qui ont davantage recours à l’hospitalisation (soins vitaux), l’aléa moral plus important pour les personnes dotées d’un bon revenu (soins superflus).
L’auteur propose donc de laisser une part du « petit risque » à la charge de l’assuré, mais aussi de garantir une prise en charge complète des dépenses catastrophiques. Un dispositif comportant une franchise obligatoire annuelle, que les assurances complémentaires ne seraient pas autorisées à couvrir, répondrait au besoin de responsabiliser le patient tout en freinant les dépenses de santé publique. Ce dispositif devrait également comporter un plafond sur la dépense totale non remboursée par l’assurance maladie. Un ticket modérateur modulable, diminuant en fonction de la dépense totale engagée dans l’année, permettrait de faire jouer les incitations monétaires là où elles ont un impact (sur les petites dépenses), sans pour autant pénaliser les assurés les plus malades. Dans un souci d’équité, ce ticket serait modulé en fonction du revenu de l’assuré. Ainsi, le directeur de recherche du CNRS salue la mise en place d’une franchise à 1 euro mais conteste la mise en place d’un forfait de 18 euros pour les soins les plus lourds, ce qui amènera de facto les mutuelles à augmenter leurs barèmes, et rendra l’accès aux soins plus difficile pour les personnes les plus fragiles. Il souligne également le fait que des pays ont su imposer aux mutuelles complémentaires la mise en place d’un barème tenant compte du revenu des assurés. Par ailleurs, la concurrence exacerbée entre mutuelles fait qu’elles ont fini par établir en France une discrimination selon l’âge de l’assuré. Or d’autres pays ont imposé par la loi l’interdiction aux assureurs de pratiquer une telle « tarification au risque » (Suisse, Pays Bas, Allemagne..) : Les assureurs bénéficiant d’une clientèle plus jeune sont contraints par un mécanisme de péréquation à reverser un montant compensatoire à ceux qui couvrent une clientèle plus âgée.
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Geoffard P-Y., La lancinante réforme de l’assurance maladie, coll. CEPREMAP, éd. Rue d’Ulm, 2006.
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