Le temps, la ville et l’urbaniste

21 mai 2009

Ne me libère pas, je m’en charge !

Publié par alias dans Questions sociales

Un communiqué de presse co-signé des déléguées aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnement, vient de tomber à l’encontre du rapport de Yazid Sabeg, Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. Le rapport du Commissaire propose de fusionner l’observatoire de la parité avec celui de la Halde pour des motifs budgétaires. Et que lui reproche-on ? de considérer les femmes comme une catégorie homogène et mineure.

Pourtant, la loi sur la parité établissant des quotas tient des féministes ? Il n’y pas de modèle féminin en soi, la femme n’existe pas, mais pour autant, les discriminations sont réelles. Je me trouve inévitablement contrariée lorsque j’appris qu’un directeur de cabinet d’un adjoint délégué à la petite enfance fit passer un entretien d’embauche en demandant à la candidate « si elle prenait bien un moyen de contraception afin de ne pas tomber enceinte car avec la charge de travail, cela ne le ferait pas…», ou encore lorsqu’une avocate de gauche demande à une autre femme si « elle a couché pour connaître autant de dossiers », ou lorsqu’il faut faire état d’un statut de femme divorcée n’ayant plus de mari en mesure de subvenir à ses besoins (remplir le frigo, faire le repassage, passer l’aspirateur ?) pour faire sauter la limite d’âge d’entrée au concours de l’ENA, ….et j’en passe. Cela pourrait frôler le ridicule si cela n’était pas si dramatique. Le sexisme est quotidien, notamment dans le champ politique mais pas seulement. Certaines femmes le tiennent pour acquis et participent à ce processus de reproduction sociétale. Elles posent et se « vendent » ainsi en épouse de…, dans Gala ou dans le Nouvel Obs, ce qui revient au même. Si j’avais eu à me prononcer sur la loi sur la parité, j’aurais voté favorablement mais avec un arrière goût provenant d’un sentiment d’injustice à devoir être ainsi cataloguées par des siècles d’histoire misogynes.

Depuis les années 80-90, de nouvelles politiques de discrimination positive sont appliquées en France (cf article sur la journée de la jupe) et les techniques de rattrapage sont diverses : prestations sociales, bourses, gratuité de l’accès à des services, quotas, règles différentes dans l’allocation de ressources, fiscalité… Selon la convention des Nations-Unies, ces mesures qui remplissent une fonction de rééquilibrage face à une forme de darwinisme social ne peuvent être que temporaires, n’étant pas liées à la nature mais à l’histoire, à une construction sociale. Mais force est de reconnaître qu’elles s’appliquent le plus souvent aux femmes et aux personnes issues de l’immigration. Parmi les divers arguments utilisés au cours de notre histoire, la nature féminine liée à la maternité a le plus souvent servi à assigner les femmes dans un rôle pré-formaté. Si les bouleversements révolutionnaires et les conflits mondiaux ont su soulever des espoirs et revendications d’égalité, les périodes de crise économiques sont systématiquement défavorables aux femmes, lesquelles servent alors de moyen d’ajustement au marché de l’emploi, de surcroît, si elles sont jeunes et issues de l’immigration.

L’observatoire de la parité mène des études sur la situation contemporaine des femmes en France. A ce jour, si les femmes font davantage d’études universitaires, elles vont moins dans le écoles d’ingénieurs. Le taux de chômage est de 1,5 point en dessus de celui des hommes. Elles sont surreprésentées dans la catégories des employées et sous représentées parmi les cadres et professions intellectuelles supérieurs. Mais surtout, plus de 30% d’entre elles travaillent à temps partiel, alors que cela ne concerne que 6 % des hommes. Le salaire annuel moyen brut des femmes est inférieur d’1/4 à celui des hommes dans le secteur privé et semi-public. Pour ce qui relève de la parité en politique, le constat n’est guère plus glorieux. Elles représentent moins de 20% des députés et sénateurs ; 47,6 % des conseillers régionaux et 43,6 % des députés français au Parlement européen ; 12,3 % des conseillers généraux ; 35 % des conseillers municipaux et 13,8 % de l’ensemble des maires ; 10, 4% des élus cantonaux. En ce qui concerne « la vie personnelle et familiale », une femme décède tous les trois jours sous les coups de son compagnon ; un homme décède tous les 13 jours sous les coups de sa compagne. Les critères d’analyse sur lesquels porte l’attention de l’observatoire sont étranges car ils mesurent la performance économique, le rapport au pouvoir politique et la violence conjugale. Est-ce bien cela qui définit notre qualité de vie, notre bien-être ?

Ci dessous, une retrospective historique sur le passage du concept d’égalité des droits à celui d’équité et d’égalité des chances. Et puis surtout, il faudrait pouvoir évoquer quelles sont les solutions envisagées ? Pour cela, je vous renvoie à l’article sur les trois leçons de l’Etat-providence.

Le principe d’égalité dans le droit, fondateur de la République française, trouve son origine chez les philosophes de la Grèce antique. Aristote, dans « Les politiques », distinguait l’égalité arithmétique (des droits identiques à tout un chacun – justice commutative = obligation de moyens) de l’égalité géométrique (à chacun en fonction de ses besoins et de ses capacités – justice redistributive = obligation de résultats). Les femmes subissaient l’égalité géométrique, en étant exclues de la vie politique (polis – le règne de la liberté), mais pas seulement, en étant aussi reléguées à la vie domestique (oïkos – le règne de la nécessité). Aspasie sera décrite comme étant…la femme de Périclès, et Livia…la femme d’Auguste. La démocratie est de jure exclusive. Le droit de vote n’était accordé qu’au chef de famille qui payait l’impôt et ce principe perdura longtemps. L’expression du patriarcat consiste essentiellement en la mise au travail invisible des femmes au bénéfice des hommes (servage dans l’agriculture, l’artisanat, les professions d’indépendants et libérales…) en plus de l’exploitation domestique (travail ménager dont 80% est assuré par les femmes encore aujourd’hui en France) et prise en charge des personnes invalides de la famille (enfants, vieux, handicapés). La religion chrétienne reconnaît aux femmes une âme mais véhicule une représentation négative de tentatrice. L’Église catholique exclut les femmes de l’ordination, ne reconnaît pas le divorce (qu’elle assimile à l’adultère), ne permet ni la sexualité en dehors de l’union du couple, ni l’avortement, ni même la contraception par des méthodes non naturelles. Au Moyen-âge, la loi salique de Clovis exclut les femmes, jugées inaptes aux fonctions politiques. En 1405, Christine de Pusan revendique l’instruction pour les deux sexes dans sa « Cité des dames » et dénonce la misogynie du « Roman de la Rose » que tous jeunes lycéens d’aujourd’hui sont censé avoir lu ou vu. Des femmes arriveront à jouer un rôle politique de premier plan telles qu’Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille, Anne de Beaujeu, Catherine et Marie de Médicis…Poulain de la Barre en 1673 affirmera dans « de l’égalité des deux sexes » que ceux qui ont fait et compilé les lois étant des hommes ont favorisé leur sexe, et les jurisconsultes ont tourné les lois en principes. Fénelon dans son « traité pour l’éducation des filles » demande qu’on prête davantage attention à leur instruction. Beaumarchais fera dire à Marceline dans « le Mariage de Figaro » : « traitées en mineurs pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! ». Si Jean-Jacques Rousseau se scandalise de l’inégalité en ayant recours à la « pitié », il reprend la séparation entre sphères privée et publique et présente les femmes comme des être marqués par leurs déterminations naturelles, dépendantes aux hommes. A compter de Rousseau (1762), naîtra une véritable « passion française pour l’égalité », pouvant conduire à un égalitarisme romantique puis marxiste de l’égalité matérielle absolue de tous (de chacun selon son travail à chacun selon ses besoins), à l’exclusion des femmes (prolétaires des prolétaires).

En 1789, le principe d’égalité connaît un succès croissant au sein du système juridique français, mais il est aussitôt modéré par les girondins : la déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Cela suppose l’égalité des citoyens devant la loi, d’accès aux emplois publics, devant l’impôt… selon leurs capacités et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. Bien que les femmes participent aux luttes et malgré que Condorcet ait été le premier à revendiquer l’admission des femmes au droit de cité, les Constituants n’envisagent pas le fait que les femmes soient un jour électrices ou éligibles ; tout juste acquièrent-elles des droits civils. A la même époque, Olympe de Gouge publie une déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791). En 1795, un décret interdit toute réunion politique aux femmes et tout rassemblement à plus de cinq dans la rue (et oui, déjà !), puis sous l’influence du code Napoléon (1804), les femmes perdent leur capacité civile, elles deviennent mineures à vie. (…). « La femmes est une propriété que l’on acquiert par contrat » écrira Balzac. « Elle est une annexe de l’homme qu’il faut savoir mettre sur un piédestal ».  Un féminisme militant va se développer à nouveau dans les milieux socialistes de la génération romantique, en particulier chez les saint-simoniens de la capitale. Certaines femmes y adoptent des modes de vie libres, souvent au scandale de l’opinion publique; elles réclament l’égalité des droits et participent à l’abondante littérature de l’époque, comme Claire Démar qui publie en 1833 son « Appel au peuple sur l’affranchissement de la femme ». En 1868, Léon Richer et Maria Deraismes, proche de la libre-pensée, fondent l’association pour le Droit des femmes et revendiquent le droit à l’éducation des filles, le libre accès aux professions, les salaires égaux entre  hommes et femmes, le droit d’ester en justice. Hubertine Auclert créé l’association Suffrage des femmes, revendiquant à côté des droits civils, des droits politiques. Avant l’acceptation politique, on parlait de « droit des femmes », puis vient celui du « féminisme » plus politique. Ces conceptions militent pour l’effacement de la différence entre les deux sexes. En 1880, Camille Sée leur ouvre l’enseignement secondaire échappant à l’Eglise. Le divorce pour faute est légalisé en 1884. C’est seulement en 1900 que la question du suffrage sera inscrite à l’agenda politique de la chambre. Il s’ensuivra un récurrent pouvoir de blocage du Sénat. En 1907, les femmes obtiennent le droit de disposer librement de leur salaire. La structure de l’emploi a changé suite à la guerre mais elles ne sont guère plus nombreuses qu’en 1911. En 1920, elles obtiennent le droit d’adhérer à un syndicat sans l’accord marital. La situation s’aggrave en 1929 : les femmes mariées sont licenciées. Les temps de crises leurs sont systèmatiquement défavorables. Les PTT (CGT) licencient 1600 personnes dont 1400 femmes. En 1929, les femmes mariées étaient traitées de « voleuses d’emplois » jusqu’à atteindre un paroxysme avec Hilter, où elles furent vouées au 3K : kinder, küche, kirche – enfants, cuisine, église. En 1938 une prime est instituée pour les mères au foyer.

Le droit de vote des femmes sera finalement imposé par ordonnance du 21 avril 1944 par le Général de Gaulle, qui les suppose plus modérées, afin de contrebalancer l’influence du parti communiste. La Constitution de la IVe République de 1946 réaffirme la déclaration des droits de 1789 et proclame des principes particulièrement nécessaires à notre temps, tel que l’égalité des droits et des femmes. Pour Maurice Duverger, leur faible participation à la vie politique s’explique par le fait qu’elles font leur éducation ne votant que depuis 10 ans (dans « la participation des femmes à la vie politique, 1955 »). Leur vote est effectivement plus conservateur au début mais l’écart se réduit progressivement jusqu’à s’inverser aujourd’hui. Cette participation politique ne s’est pas accompagnée d’un partage du pouvoir politique. Dans les années 50, les thèses « naturalistes » prévalent encore : aux hommes, les affaires politiques, aux femmes, la gestion de la maison. En 1949, Simone de Beauvoir écrira dans « Le Deuxième sexe » : « on ne naît pas femmes, on le devient ». En 1954, elles ne sont en France que 34,8% des actifs, contre 40% en 1921. En 1956, le mouvement de la maternité heureuse d’Evelyne Sullerot, annonce l’avenir du planning familial et soutient le mouvement SOS Papa. Les femmes n’ont donc vocation à s’occuper de politique mais…elles ont de l’influence. A partir des années 70, un mouvement de contestation pour la libération des femmes (MLF) va apparaître. En 1965, une loi permet à la femme de travailler sans l’accord de son mari, elle peut ouvrir un compte à son nom propre. La loi Neuwirth en 1969 puis Veil de 1975 légalisera la contraception et dépénalisera l’avortement. Les mineures ont accès à la contraception (mais l’accord parental reste de mise pour l’avortement). En 1975, le divorce par consentement mutuel est autorisé. Le Conseil d’Etat rejettera le projet de loi visant à instituer un quota électoral minimum de 20% de femmes en 1979, au motif que ce texte porterait atteinte au principe de liberté des électeurs et qu’il constituerait un précédent dangereux à l’égard d’éventuelles demandes émanent de divers éléments de la société ou de la vie économique de la nation. Une nouvelle version fut présentée portant le quota à 25% et fut votée par le Parlement en 1982. Dans sa décision du 18 novembre 1982 « quotas par sexe », le CC souleva d’office l’inconstitutionnalité d’une disposition législative visant à établir un pourcentage minimal de 25% des femmes sur les listes des candidats aux élections municipales, au motif  que la loi doit être « aveugle » à des caractéristiques comme le sexe, la religion, la race… 

Les traductions constitutionnelles du principe d’égalité ont fait progressivement l’objet de discussions, avec l’apparition du concept de « discrimination positive », une déclinaison de la discrimination justifiée. A la suite de la réflexion engagée par John Rawls, dans son « Traité  sur la théorie de la justice comme équité », de nombreux juristes et philosophes ont cherché des solutions au problème posé par les discordances entre l’affirmation du principe d’égalité et les inégalités croissantes au sein de la société contemporaine. L’exigence d’équité vise toutes les politiques qui tentent à rompre l’égalité des droits pour rétablir une égalité de chance au bénéfice d’individus ou de groupes défavorisés. Selon l’expression du professeur Rivero, le droit public incline vers la recherche de l’égalité concrète par la multiplication des catégories. Ce courant de pensées émane de la double ascendance religieuse et utilitariste des démocraties anglo-saxonnes et marque ainsi dans les années 80-90, la « fin de l’exception française », subséquente de « la fin des grandes idéologies ». L’Etat-providence est en crise, le ciblage des transferts et des avantages sociaux prend le dessus sur les politiques traditionnelles néo-keynessiennes de redistribution macro-économique massive. A la différence de l’égalité qui est une notion substantielle, l’équité est une notion procédurale. Si elle permet de compenser des discriminations anciennes (liées à la décolonisation, à l’esclavage, aux statuts des femmes) et d’assurer une plus juste représentation des minorités ou des groupes sous-représentés, elle se heurte à l’idéal universaliste français et peut se retourner contre ceux qu’elles prétendent aider (soupçon portant sur le fait que la promotion n’est due qu’aux caractéristiques et non aux qualités propres, processus de stigmatisation et sélectivité des mieux-disants). Ponctuellement, le Conseil constitutionnel finit par admettre que la loi puisse instituer des différenciations de traitement sous certaines conditions pourvu qu’elles soient « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (CC, 9 avril 1996) », mais elles ne sauraient relever des discriminations expressément interdites par la constitution (discrimination fondée sur l’origine, la race, la religion, les croyances et le sexe). Le CC invalida les dispositions de la « loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes » relative à la parité dans le secteur privé (DC du 16 mars 2006). Il jugea également anticonstitutionnel  « la loi relative à la maîtrise de la l’immigration, à l’intégration et à l’asile », laquelle prévoyait la mise en place de statistiques ethniques et raciales (DC 15 novembre 2007). De son côté, le Conseil d’Etat continue de marquer la progression du principe d’égalité sans toutefois lui conférer une valeur absolue. Il considère que l’administration peut instituer des traitements différenciés lorsqu’ils sont justifiés soit par une différence de situation, soit par un motif d’intérêt général. Les différences de traitement ne sont concevables qu’à condition qu’elles ne soient pas manifestement disproportionnées au regard de la différence de situation (CE, 28 juin 2002, Villemain). Enfin, le droit communautaire n’est pas resté à l’écart de ces évolutions. La CJCE, au nom du principe d’égalité, interdit toute mesure de discrimination positive automatique et absolue. Une priorité automatique accordée au sexe sous-représentée n’est pas compatible avec l’égalité de traitement (CJCE, 6 juillet 2000, Abrahamsson), au contraire des mesures de priorité qui ne sont ni inconditionnelles, ni absolue et font place à une appréciation objective qui tient compte des situations particulières d’ordre personnel (CJCE, 28 mars 2000, Badeck). En France, une révision de l’article 3 de la constitution intégrera le principe selon lequel « la loi favorise l’égal accès des  femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». La révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 permit le vote de la loi du 6 juin 2000, dite loi sur la parité. La réforme constitutionnelle du 21 juillet 2008  a introduit l’égal accès des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales. Aujourd’hui, les femmes continuent à se heurter au « plafond de verre », une jolie expression mais qui cache en réalité de forts sombres archaïsmes sociétaux.

Pour en savoir plus :

De Beauvoir S., Le Deuxième Sexe, Gallimard, 1949.

Gianini Belotti E, Du côté des petites filles, Des Femmes, 1974.

Bourdieu P., La domination masculine, Seuil, 1998.

Badinter E., Fausse route : Réflexions sur 30 années de féminisme, Odile Jacob, 2003.

Butler J., Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, La Découverte, 2005.

Brugère F., Le sexe de la sollicitude, Seuil, 2008.

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