Le temps, la ville et l’urbaniste

15 mai 2009

Du RMI au RSA : du welfare au liberal workfare

Publié par alias dans Questions sociales

Le livre  intitulé « La régulation des pauvres, du RMI au RSA » co-écrit par Serge Paugam et Nicolas Duvoux porte un regard critique sur la mise en place du RSA. Nicolas Duvoux fut l’élève de Serge Paugam, directeur d’études à l’EHESS, et ce duo fonctionne assez bien. Duvoux est également rédacteur en chef de la vie des idées.

La perspective analytique sur la pauvreté est née dans la première moitié du XIXe siècle avec le paupérisme, mais il faudra attendre le début du XXe siècle, et en particulier le texte de Simmel sur « Les pauvres (1907) » pour que se constitue un champ sociologique sur cette question. Selon Simmel « les pauvres, en tant que catégorie sociale, ne sont pas ceux qui souffrent de manques et de privations spécifiques, mais ceux qui reçoivent assistance ou devraient la recevoir selon des normes sociales ». La pauvreté n’est donc pas définie selon un état quantitatif mais selon un rapport à la société. 

Dans son ouvrage « Sous l’aile protectrice de l’Etat (1995) », Abram de Swan explique le processus d’institutionnalisation qui a conduit à une assistance étatisée, sachant qu’il existe bien d’autres modes de traitement de la pauvreté, la philanthropie notamment, à partir de laquelle l’Etat a cherché à combler les insuffisances. La charité permet surtout d’assurer le salut d’une personne, et c’est évidemment de celle du donateur dont il s’agit. Les leçons de Durkheim sur le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique peuvent encore servir de cadre d’analyse.

Serge Paugam estime que l’assistance étatique est également octroyée dans l’intérêt de la collectivité avant tout. Les intérêts d’une nation à assister ses pauvres sont multiples. Le but de l’assistance est de réhabiliter leur activité économique, de les rendre plus productifs, de préserver leur énergie physique, de réduire le risque de dégénérescence de leur progéniture et enfin, d’empêcher leurs impulsions à user de moyens violents dans le but de s’enrichir. L’assistance maintient le statu quo social, autrement dit, elle est par définition conservatrice. 

Le premier chapitre s’interroge sur  »à quoi servent les pauvres » ? Il est fait référence à Herbert J.Gans, lequel identifiera les fonctions positives de la pauvreté : afin d’effectuer « le sale boulot », il faut qu’il subsiste sur le marché du travail une frange de travailleurs n’ayant pas d’autres solutions que d’accepter des tâches dégradantes et faiblement rémunérées. Serge Paugam ne souhaite toutefois pas limiter la pauvreté à cette fonction économique et estime qu’il en existe au moins deux autres, la fonction morale et la fonction culturelle. La pauvreté fait figure de repoussoir ; les plus impitoyables vis-à-vis des pauvres étant ceux qui se situent à la lisière de la pauvreté (les candidats FN ou populistes sauront en jouer). Nicolas Duvoux se référera à Michel Foucault pour lequel, dans « La vie des hommes infâmes, les dispositifs de traitement sanitaire, social, voire pénal, assujettissent en réalité l’ensemble du corps social. Ainsi les auteurs font-ils état d’une violence symbolique de l’assistance, ce qui n’est pas sans provoquer un certain malaise parmi les enquêteurs, eux-mêmes partagés entre empathie et mauvaise conscience. Cette problématique du positionnement du sociologue fut précédemment étudiée par Howard Becker et Raymond Aron.

Le second chapitre s’intitule « de la disqualification sociale à l’échec de l’insertion ? ». Notre système de protection sociale de l’Etat-providence fonctionne relativement bien, notamment concernant la couverture risque vieillesse. En effet, avant transferts sociaux, la pauvreté est deux fois plus importante qu’après. On assiste donc à une diminution globale de la pauvreté en France depuis la seconde guerre mondiale. Si avant guerre, la pauvreté touchait particulièrement les personnes âgées, elle se concentre depuis les années 80 sur les chômeurs de longue durée, phénomène que l’on a qualifié de « nouvelle pauvreté et qui pèse davantage sur les personnes les moins qualifiées. Le problème n’est donc plus seulement d’ordre monétaire, mais touche le système en profondeur dans son mode d’intégration sociale ne pouvant plus garantir la stabilité de l’emploi et dérive de ce fait sur une pauvreté relationnelle, des problèmes de santé, des difficultés d’accès au logement…

Dans « L’épreuve du chômage (1981) », Dominique Schnapper qualifie ce processus cumulatif de « chômage total ». Selon cet auteur, il existe un chômage inversé (vacances prolongées), un chômage différé (recherche active) et un chômage total (ennui, désocialisation, humiliation). Selon Serge Paugam dans « La disqualification sociale (1991) », si pour la collectivité les pauvres constituent une catégorie déterminée, elle ne constitue par pour autant un ensemble social homogène (existe trois typologies : fragiles, assistés, marginaux). Il préférera d’ailleurs parler de processus (fragilité, dépendance, rupture). Dans le monde, il existe une pauvreté disqualifiante (société post-industrielle confrontée à une hausse du chômage et des statuts précaires), une pauvreté intégrée (société pré-industrielle qui enregistre un retard économique), et une pauvreté marginale (société industrielle avancée et en expansion mais avec des marginaux comme en Scandinavie). 

En France, pays corporatiste et conservateur, le statut de l’individu est la clef de son intégration à la société (discriminant à l’égard  des femmes). Face à la montée d’une pauvreté disqualifiante, la société française s’est rassemblée autour de la notion d’insertion : la solidarité nationale devrait pallier le mieux possible la crise des mécanismes assurantiels. Lors de la création du RMI, le principe d’universalité auquel le texte se réfère fait disparaître le jugement moral sur le droit de bénéficier ou non du soutien de la collectivité. Le RMI n’avait pas vocation à pallier au déficit d’emplois et n’intervenait qu’en aval.

Le troisième chapitre s’intitule « L’usure de la compassion ». Depuis le Moyen-Age, les sociétés sont partagées sur le traitement de la pauvreté entre  » la potence et la pitié ». Mais les études montrent que tout ce passe comme si la population considére en période de reprise économique, que si les pauvres ne trouvaient pas d’emploi, c’était en partie au moins de leur faute (et inversement). Le développement du temps partiel a déplacé de façon pernicieuse la norme sociale à un demi smic. Serge Paugam constate à quel point le débat sur les fraudeurs est organisé politiquement pour délégitimer la redistribution en faveur des plus défavorisés. Cette usure de la compassion peut aussi s’expliquer par la mise en avant médiatique de formes variées et souvent concurrentielles de souffrance sociale.

Pierre Bourdieu dans « La misère du monde. (1993) » distinguait  la misère de condition de la misère de position. La misère de position tient d’un manque de reconnaissance, la personne se sent exclue de l’intérieur. Axel Honneth dans « La lutte pour la reconnaissance. (2002) » distingue trois formes de mépris : l’atteinte à l’intégrité physique, l’exclusion juridique et la dépréciation sociale. Ce besoin de reconnaissance fera l’objet d’instrumentalisation idéologique et conservatrice. Le principal critère pratique à retenir peut alors être  »suis-je réellement plus libre quand je suis reconnu ? ».

Selon Serge Paugam dans « Le salarié de la précarité », la précarité de l’emploi renvoie à la problématique de la protection, et la précarité du travail, à celle de la reconnaissance. Il constate que depuis une dizaine d’années en France, la notion de responsabilité individuelle prend le pas sur la notion de responsabilité sociale, conduisant à stigmatiser les pauvres. Enfin, une redistribution équitable ne concerne pas seulement les biens matériels, des ressources et des revenus, mais aussi ce que Amartya Sen appelle dans « Repenser l’inégalité (1992) » les capacités.

Le quatrième chapitre s’interroge sur les territoires de la solidarité. Robert Castel dans « Les Métamorphoses de la question sociale (1995) » a relevé le fait que l’avènement de la société salariale a rendu possible la mise en oeuvre de politiques d’intégration au niveau national et non plus local et communautaire. Cette dynamique s’est brisée dans les années 70. L’administration du social s’oriente désormais dans une double direction : une individualisation et une territorialisation. L’acte II de la décentralisation de 2003 renforça le rôle du Département sans toutefois lui conférer les leviers d’intégration (activité économique et formation) lesquels restent du ressort de la Région.

Serge Paugam estime que c’est par conséquent aussi dans le cadre de la solidarité nationale qu’il faut aujourd’hui envisager une plus juste redistribution à l’égard des générations sacrifiées ou des catégories fortement ou durablement défavorisées. Pierre Rosanvallon dans « Le peuple introuvable. (1998) », explique la difficulté française à appréhender le social (syndicat) inhérente à une consécration juridique de l’individu.

L’Etat social se trouve à présent affaibli par une décentralisation accrue mais aussi par la naissance d’une charte sociale européenne. Sa légitimité n’est pas mise en cause mais son efficacité est sujet à caution. L’Etat social intervient la plupart du temps en situation d’urgence ou sur les politique de la ville, abordant alors la nouvelle forme de la question sociale qui est celle des minorités. La politique de la ville est critiquée pour son caractère incantatoire et l’emploi abusif de la mixité sociale permet d’instaurer des barrières d’entrée au logement social. La proximité spatiale n’est pas en soi un facteur de sociabilité et des efforts de différenciation individuelle sont à l’oeuvre. La question réside dans les moyens donnés à ces populations pour qu’elles aient les capacités de se prendre en charge.

Le dernier chapitre « la précarité assistée : un nouveau régime de mise au travail ? » est une critique portée contre le RSA. Ainsi du statut d’inutiles et d’inemployables, les pauvres peuvent passer au statut de travailleurs ajustables aux besoins de la flexibilité de la vie économique. Comme les emplois qui leur sont destinés sont peu attractifs en termes de salaires et de conditions de travail, il faut donc les inciter financièrement à les accepter. Le tour de passe-passe consiste alors à faire passer pour de la solidarité ce qui, dans la réalité, est avant tout une variable d’ajustement économique.

Le RSA dans sa version 2005 prévoyait d’assurer une revenu supérieur au seuil de pauvreté (60% du revenu médian, soit 817 euros par mois en 2005) à une personne employée à quart temps. Deux ans plus tard, en juillet 2007, Martin Hirsch a avancé le chiffre de 564 euros par mois. La précarité se nourrit de deux processus complémentaires : le renforcement de la flexibilité qui passe par un réaménagement du droit social du travail et la gestion publique du chômage. Ainsi a été crée un nouveau statut, celui de travailleur précaire assisté. Si pour certains individus, ce statut sera qu’un pis-aller temporaire avant d’accéder à un emploi stable non assisté, il est à craindre que le RSA participe à une mode généralisé de mise au travail des plus pauvres dans les segments les plus dégradés du marché de l’emploi.

L’institutionnalisation par les pouvoirs publics d’un sous-salariat déguisé a été opérée malgré le front uni contre le CPE. Ces pauvres ne seront pas obligés d’entrer dans un salariat mais dans un précariat, un second marché du travail moins protecteur. Serge Paugam fait observer que le rapport initial avait prévu le risque d’un développement du temps partiel subi et de la précarité. Pour y faire face, les auteurs du rapport indiquaient l’urgence d’un engagement collectif sur la qualité du travail et le RSA n’était qu’une mesure parmi d’autres. La distinction entre les allocataires du RSA « actifs » et les autres aboutira presque inévitablement à la dichotomie classique entre les méritants et les non-méritants ; ce que le RMI avait tenté d’abolir. En conclusion, les auteurs prennent pour modèle la protection sociale universelle des pays scandinaves.

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Paugam S., Duvoux N., La régulation des pauvres : du RMI au RSA, Puf, 2008.

Auteurs cités :

Simmel G., Les pauvres, 1907.

Foucault M., La vie des hommes infâmes, 1977.

Schnapper D., L’épreuve du chômage, 1981.

Paugam S., La disqualification sociale, 1991.

Sen A., Repenser l’inégalité, 1992.

Bourdieu P., La misère du monde, 1993.

Castel R., Les Métamorphoses de la question sociale, 1995

De Swan A., Sous l’aile protectrice de l’Etat, 1995.

Rosanvallon P., Le peuple introuvable, 1998.

Honneth A., La lutte pour la reconnaissance, 2002.

Paugam S., Le salarié de la précarité, 2007.

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