Dividendes de Total – annonce d’une pollutaxe ?
Dans un article du Monde du 17 février 2009, Daniel Cohn-Bendit adressait une lettre ouverte au Président de la République concernant les profits de Total, fleuron de l’industrie française. Je suis portée à croire que le comportement de certains grands groupes fausse le débat sur les moyennes entreprises ; chacun étant vite tenté de faire une généralité à partir de certains cas particulièrement scandaleux. Il n’empêche, je m’attendais en écoutant le 18 février l’allocution télévisuelle du Président de la République, à ce qu’il nous fasse part de propositions concrètes concernant la redistribution des richesses et la moralisation de l’économie financière. Il n’en fut rien, juste un énième renvoi en direction d’une future négociation entre partenaires sociaux…Nicolas Sarkozy s’était toutefois exprimé précédemment « à titre personnel » sur la redistribution des richesses en faveur de la règle des trois tiers : un tiers pour l’entreprise, un tiers pour les employés et un tiers pour les actionnaires. Mais est-ce suffisant pour préparer l’avenir ?
Daniel Cohn-Bendit souligne qu’avec 13,9 milliards d’euros de bénéfice sur 2008, le groupe Total distribue près de 37% de ses bénéfices à ces actionnaires, ceci qui ne reflète donc pas la situation optimale envisagée par le Président de la République. Mais surtout, la clef de répartition ne tient pas compte des externalités négatives (pollution liées aux activités de raffinage) qui resteront à la charge des contribuables. Il rappelle que le groupe Total a déjà montré qu’il n’assumait pas ses responsabilités suite au naufrage d’Erika en ne versant que 0,192 milliard d’indemnités alors que le coût environnemental fut estimé à 1 milliard d’euros. Malgré cela, Total continue à investir dans la consolidation d’un modèle économique dépassé et terriblement coûteux. Car au bout du compte, qui devra payer la réparation des dommages écologiques, si ce n’est les citoyens à travers leurs impôts et de nouvelles taxes et les pays pauvres dont les ressources sont pillées et les populations exploitées. Daniel Cohn-Bendit conclura sur le fait que Martin Hirsch n’aurait pris aucun risque à exiger que Total embauche – puisque le groupe l’a d’ores et déjà annoncé – sans leur demander des engagements sur leurs objectifs industriels ! Or, les bénéfices du groupe devraient être réorientés vers la création d’emploi dans les énergies vertes renouvelables, voir des emplois visant à restaurer le milieu naturel et la biosphère.
Ainsi, il convient d’internaliser les externalité. La solution la plus intuitive consiste à créer des marchés de droits à polluer, qui obligent les entreprises à prendre en compte la pollution qu’elles génèrent, lorsqu’elles optimisent leur profit. Dès lors que l’information des régulateurs publics est imparfaite, cette solution est plus efficace qu’une réglementation qui définirait, pour chaque entreprise, le niveau de pollution admissible. La mise en place d’un tel marché nécessite toutefois que soit défini ex ante le niveau global de pollution acceptable, qu’une bourse soit créée, et que le comportement réel des entreprises soit contrôlé. Une telle solution a été mise en place pour la première fois dans les années 80 dans la baie de San Francisco pour les émissions de dioxyde de soufre. Elle devrait bientôt être mise en place dans l’Union européenne pour le dioxyde de carbone. L’autre solution consiste à mettre en œuvre une taxe pigouvienne (pollutaxe ex : taxe carbone) inventée par Arthur Pigou en 1920 ; l’entreprise ayant intérêt à ce que cette taxe ne soit pas supérieure au coût marginal induit par la pollution. De même que pour la réglementation, cette solution nécessite que la puissance publique connaisse précisément les coûts marginaux de tous les agents à la source de l’externalité négative. Or le Président de la République proposa de supprimer la taxe professionnelle, constitutive d’une bonne partie des recettes des collectivités territoriales, et de la remplacer par une taxe carbone d’ici l’année prochaine.
La taxe carbone a toujours fait de longs débats au PS (débat sur la TIPP flottante au sein de la commission développement durable dont je garde un très bon souvenir) ou chez les Verts. Si nous voulons économiser volontairement l’énergie fossile, nous devons désirer une hausse de son prix en termes réels, seulement, cette mesure présente un important coût social très important pour les automobilistes et peut même provoquer une inflation. Par ailleurs, cette taxe qui sert de ressources aux collectivités ne doit pas être constitutif de l’ensemble de ses recettes. Jean Paul Huchon disait ainsi combien il pouvait être absurde que les recettes de la Région Idf, désireuse d’investir dans les transports en commun, reposent sur une taxe sur les activités polluantes. Pour être efficace, dira Jean-Marc Jancovici, la taxe carbone doit être planifiée et annoncée très longtemps à l’avance, par exemple sur 15 ans, afin que les citoyens comme les entreprises puissent la prendre en compte dans leurs projets d’avenir sans avoir à en souffrir, notamment par le choix des moyens de transport les moins polluants. Si le gouvernement avait au travers du Grenelle de l’environnement souhaité mettre à l’étude la création d’une taxe carbone, l’annonce subite formulée par Nicolas Sarkozy, consistant à supprimer la taxe professionnelle afin de la remplacer par une pollutaxe, a donc de quoi effrayer. La somme est colossale : 11 Milliards d’euros à trouver !
Toutefois, le principe en lui-même n’est pas mauvais – le revenu de la taxe carbone peut être utilisé pour faciliter la transition de la société vers une consommation plus sobre – seul le calendrier pose problème. Plusieurs possibilités de redistribution sont envisageables : le financement de mesures d’aides spécifiques aux populations à faible revenus (proposition de J. Hansen, climatologue en chef de la NASA), le financement de programmes environnementaux (proposition de Daniel Cohn-Bendit), le financement du budget de l’État (proposition de Jacques Attali reprise par Nicolas Sarkozy). En France, il y eut un précédent : En décembre 2000, le Conseil Constitutionnel censura un projet visant à étendre la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) aux consommations intermédiaires d’énergie, dans la mesure où il a constaté une rupture d’égalité devant les charges publiques (chauffage collectif surtaxé par rapport au chauffage individuel, important effet de seuil dans les barèmes, mise en difficulté de certaines entreprises dont le process dispose de peu de marge d’amélioration comme l’aluminium, taxer l’électricité nucléaire -peu pourvoyeur en GES- autant que le gaz) et une atteinte portée au droit d’amendement. Cette taxe était fondée sur le contenu en carbone de chaque produit, avec un taux de référence de 11 euros la tonne de CO2. Alors évidemment, on ne peut que se poser la question de l’effectivité d’une taxe carbone sans abattement sur les actions de Total (58,4 millions de tonnes de CO2)…
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