Le temps, la ville et l’urbaniste

13 février 2008

Le château de plaisance

Publié par alias dans Partis & élus

La campagne battait son plein, un candidat parachuté déambulait sur le marché, offrant des fleurs acidulée, un autre s’affichait bonbons en poche devant les sorties d’écoles. Quant aux derniers, ils appelaient à un meeting de soutien sur le parvis d’une Eglise, entamant chaque jour davantage les valeurs laïques reçues en héritage. Quel message souhaitent porter ces politiques ? Celui d’une politique attrape-gadget qui se vend au plus offrant, à celui qui déclame le plus ?

Consomme-t-on son ou sa élu(e), produit d’un marketing spéculatif ? La séduction passe-t-elle par le discours ou par l’image ? Peut-on jouer de l’image sans risquer in fine de desservir ses convictions profondes ? Peut-on satisfaire à cette soif d’amplitude sécurisante de l’appartenance, sans tomber dans l’écueil de la démagogie et du clientélisme. L’image que l’on renvoie n’est pas toujours celle que l’on souhaiterait porter, ces dissonances cognitives ont-elles leur importance ?

La plupart des politiques en font abstraction, pourvu que l’électeur entende ce qu’il souhaite entendre. Si la vérité n’est pas toujours agréable à entendre, que faisons-nous de l’éthique, cette exigence de transparence et de sincérité, fondement de notre système démocratique ? La parole est sacrée, l’image, elle, est éphémère.

De fait, la surexposition des élus va de pair avec la destruction de toute expérience possible. Ces pauvres héros vivent non pas une aventure extraordinaire comme on voudrait les en persuader mais au contraire une déréalisation, une dépressurisation de l’expérience. Ils ne vivent pas une intensification des sentiments et des émotions mais au contraire une forme de privation sensorielle.

Enfermés dans un protocole qui n’a rien d’une fiction réelle, les élus sont soumis aux dures lois de l’exhibition de soi qui a pour contrepartie l’impossibilité d’élaborer, de construire leurs propres représentations. Evidemment, l’opération a un sens et il est lourd : se néantiser, effacer en soi l’humain. Cette auto-amputation est sans doute le sacrifice ultime qu’exige notre société. Sacrifiez votre expérience et vous aurez un surcroît d’apparence.

Christian Salomon le résume très bien dans Verbicide : L’image contre la vie. C’est le nouveau contrat social dont la politique est à la fois la métaphore et le laboratoire. Ce n’est qu’un jeu, répète-t-on à loisir dès que le réel menace. Et dans le jeu, il suffit de respecter les règles : être ouvert, chaleureux, sensible, authentique, homme paternel ou femme protectrice, participer aux activités collectives. Et surtout se conformer à la règle absolue, une règle médiatico-monacale : donner une bonne image de soi.

Religion de l’identité et du rôle à jouer, civisme de la transparence comme expression idéal-typique de la société. Désormais, l’exposition prendra le pas sur l’expérience, l’exhibition sur l’existence, le regard sur le vécu. Ce n’est plus seulement le travail qui sera socialisé mais toute la vie privée.

L’électeur sera placé dans la position d’un témoin oculaire qui entre comme par effraction dans une intimité paradoxale, une intimité exhibée, surexposée par les médias : de quelle surface de logement dispose-t-il, où habite-t-il, avec qui partage-t-il sa vie ? La plus-value sera médiatique ou ne sera pas. A l’exploitation de l’homme par l’homme succède l’exposition de l’homme par l’homme.

La suppression de la frontière entre sphère privée et sphère publique de l’existence est constitutive d’un espace nouveau d’expérimentation, porteuse d’un nouveau sujet, qui pour la première fois n’a plus de repli possible dans l’intimité. Kafka a donné à ces nouveaux sujets assujettis une définition quasi phénoménologique : « un prisonnier qui a l’intention de s’évader…mais projette en même temps de transformer la prison en Château de plaisance à son propre usage ».

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